Prince ou le spectacle est roi

Le prix Nobel de littérature péruvien Mario Vargas Llosa a écrit un ouvrage d’une lucidité foudroyante : » La civilisation du spectacle ». Ce libéral affirmé y fait preuve comme tous les gens un peu cultivés et capables de réfléchir d’un esprit franchement réactionnaire. Il constate une « culture en crise et en décadence ». Le metteur en scène Antoine Vitez voulait un « théâtre élitaire pour tous ». Malraux voulait « rendre accessible au plus grand nombre les oeuvres capitales de l’humanité ». C’était là une conception positive de la « démocratisation de la culture ». Tout ne se vaut pas. La démocratie ne consiste pas à proclamer l’égalité de toutes les pratiques culturelles, des créateurs et des interprètes, mais à faire en sorte que soient connus du plus grand nombre les oeuvres et les auteurs qui ont arraché l’homme à sa condition. Cette conception correspond assez à ce qui justifie « l’exception culturelle » française, la seule qui mérite d’être défendue. Malheureusement, elle a depuis longtemps cédé non seulement dans les faits, mais dans les idées et les mots qui les portent. En France, c’est Jacques Lang qui a, dans les paillettes et sous les projecteurs, assumé cette débâcle en réussissant à faire croire qu’il avait développé la culture. Il a certes augmenté la dépense. Il est parvenu à faire des créateurs et des interprètes une caste à laquelle les politiques ne pouvaient toucher sans risques, et qu’ils ont même appris à imiter puis à aduler. Mais les publics n’ont guère augmenté et la création française a vu au contraire son pouvoir d’attraction diminuer.

Qu’on le veuille ou non, la civilisation américaine a envahi la pensée française. On pense comme on parle, et on parle de plus en plus « américain ». Ainsi, le mot culture impliquait en Français les idées d’éducation et d’élévation, supposait des degrés, une hiérarchie. En revanche, lorsque l’ethnologue américaine Ruth Benedict écrit « Patterns of Culture » et y décrit notamment les moeurs des Kwakiutl, elle vise l’ensemble des comportements appris, des produits fabriqués, des institutions et des idées propres à une communauté. Cette approche était logique en Anthropologie car elle établissait un relativisme culturel nécessaire à l’objectivité de l’étude. Levi-Strauss l’a imposée brillamment en France. Mais ce relativisme scientifique s’est propagé en idéologie, avec deux effets. Le premier a allié la repentance du colonisateur blanc à l’égalitarisme absurde revendiqué par la gauche. Il était désormais interdit de préférer la culture nationale au multiculturalisme. Il était devenu scandaleux d’établir une échelle de valeurs entre musique classique et show-bizz, entre peintures et « tags ». Le masochisme qui hante l’Occident a même tendance à inverser les valeurs suivant le principe de la discrimination positive : ce qui était en bas doit être mieux traité que ce qui était en haut. C’est ainsi que Jacques Chirac a fait des « arts premiers » son grand geste culturel. Mais dans le même temps et subrepticement un autre phénomène d’origine américaine s’est produit. Si la tradition française privilégiait la culture-éducation, l’Amérique met en avant le marché de l »entertainment », du divertissement. Cette nuance n’est pas anodine : dans un cas, il s’agit d’apprendre à penser, à réfléchir, à développer son esprit ; dans l’autre, il s’agit d’oublier, de penser à autre chose, bref à se vider l’esprit des réalités ennuyeuses. Les images et les sons ont remplacé les mots.

La mort de Prince présentée comme un événement planétaire dont le retentissement émotionnel devait mériter la une dans notre pays est exemplaire de cette évolution. Le monde du spectacle a manié l’emphase et l’hyperbole sans retenue. « C’est un génie visionnaire qui a changé le monde » a lancé Madonna sans craindre le ridicule. Mais les politiques, d’Obama à Valls ont cru devoir y aller aussi de leur larme, et de leur hommage grandiloquent. Rien d’étonnant puisqu’ils s’inscrivent eux-aussi, désormais, dans ce vaste marché du spectacle. Ils y ont leur créneau, mais ils dépendent entièrement des modes, de la publicité et de la caste qui les produit. Cette « élite » a remplacé celle des penseurs et des philosophes, sauf quand ces derniers font eux-mêmes partie du spectacle, comme BHL, par exemple. Comme le dit Mario Vargas Llosa, « dans la civilisation du spectacle, le bouffon est roi… L’intellectuel n’intéresse que s’il devient un bouffon. »

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13 Comments

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  • Boutté , 27 avril 2016 @ 9 h 39 min

    Le mondialisme culturel vous donne raison . Il est imposé par les USA pour le compte des F.M. . Il n’est pas forcément mauvais en soi mais le niveau des spectacles ne mérite pas de passer aux générations suivantes et continuer de nommer “culture” ces productions qui abaissent au lieu d’élever est un signe manifeste de nôtre décrépitude intellectuelle .
    Je suis allé voir avec mes petits-enfants le Livre de la Jungle new look . Stupide et laid, c’est une production qui sent son Amérique de loin .
    Très peu de belles images, toute la poésie de Kipling jetée au panier, des effets “spécieux” certes stupéfiants mais au mauvais sens de mot. Ce film est fait pour effrayer , non pour séduire et , faute de force des images , on les remplace par des sons énormes et injustifiables . Les animaux eux-mêmes ne sont pas même beaux (contrairement à ceux du dessin animé éponyme) ni crédibles et ressemblent (sauf Baghéra) à des marionnettes en fourrure mitée, aux gestes approximatifs, maladroits et comme frappés de dysmétrie . Les scènes de la danse des singes , de celle de l’ours, de l’hypnose du serpent – si mémorables dans le dessin animé – n’ont aucun relief . Le bruit et la laideur dominent le tout . On croirait la guerre des étoiles dans la jungle asiatique . Quel échec ! ! ! Une seule satisfaction : mes petits étaient tous d’accord avec ce sévère jugement de leur aïeul . Déception partagée n’est pas plaisir .

  • Alban , 27 avril 2016 @ 16 h 57 min

    J’aimerais que NDF ne censure pas mon commentaire. Vous voulez la démocratie, la vraie ? Alors respectez les morts et ceux qui pleurent les morts. Vous n’imaginez pas le nombre de personnes touchées par la mort de cet artiste d’exception, et pourtant je suis anti américain et patriote.Votre censure est bien plus condamnable que ce que vous condamnez. Farfouillez dans la poubelle des commentaires supprimés et remettez-le, SVP, plutôt que de favoriser les commentaires haineux.

  • V_Parlier , 27 avril 2016 @ 21 h 45 min

    N’empêche que ça a permis aux médias d’éviter de nous parler:
    – De la crise américano-saoudienne (fausse ou vraie révélation mais néanmoins fait d’importance)
    – De la dénonciation d’Erdogan par le roi de Jordanie (pourtant admis comme otano-conforme)
    – Du TAFTA / TTIP qui fait même peur à Hollande ! (donc ils en ont quand même parlé un tout petit peu) alors que les allemands sont dans la rue à cause de ça, pendant que certains français debout la nuit rêvent d’un monde collectiviste sans sortir de l’UE (il faut en fumer pour en arriver là!).

    Mais ils vont maintenant pouvoir enchaîner sur Abdeslam afin de nous répéter tout ce qu’on sait déjà. Ils tiendront bien 2 semaines avec ça.

  • Pierre , 1 mai 2016 @ 16 h 13 min

    Avant de raconter tout et n’importe quoi, peut être auriez vous pu vous renseigner un tout petit peu sur le contexte exact du décès de Prince.
    Non pas que je veuille venir ici venir défendre une vedette américaine du show-biss, mais parce que son décès est bien survenu dans un contexte très particulier.
    Prince venait en effet de faire, dans différentes émissions, des déclarations sur les “chemtrails ” et sur les “Illuminatis”.
    Il aura donc très probablement payé pour cela, et le “buzz” fait par les médias n’est jamais qu’unesignature, et une mise en garde.
    De nombreux articles et vidéos ( en anglais) ont été publiés depuis à ce sujet, et peuvent donc être consultés sur le net.
    Si jamais vous pensez que tout ceci est fantasmé, vous pourrez toujours vous occuper à reprendre la longue série des attentats, coups d’états, et catastrophes diverses et variées survenues à ces dates anniversaires sataniques des 11/03 et 11/09..
    Ou reprendre par exemple sur ces 15 dernières années la longue liste des très graves accidents d’autocars transportant soit des pèlerins se rendant sur des lieux de pèlerinage, soit des personnes liées avec des institutions catholiques (écoles, lycées, universités, associations de policiers, clubs de football, etc…
    France, Suisse, Italie, Espagne, Croatie, Allemagne, Pologne, Californie, Afrique du Sud, etc… La liste en est bien longue.
    Une autre façon pour certains de faire du buzz

  • Pierre , 1 mai 2016 @ 16 h 23 min

    Le dernier accident en date: le dimanche 20 mars 2016 (jour du printemps, mais aussi fête satanique).
    13 étudiantes décèdent dans un accident d’autocar sur une autoroute en Espagne… Elles rentraient des Fêtes des Fallas à Valence

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