Croissance, création de valeur, démographie

Tribune libre

A. Piégés par le mythe

Si nous souhaitons sauvegarder nos ressources naturelles, stopper la dégradation de nos conditions de travail, par le stress, le harcèlement et la démotivation, protéger notre cadre de vie, enrayer la disparition progressive de nos paysages, éviter les conséquences de l’entassement humain générateur de violence et de volumes croissants de déchets, si nous considérons que le contact avec la nature et la protection des écosystèmes sont indispensables à une société harmonieuse, à l’équilibre psychique et à la survie de l’espèce, notre intérêt commun nous commande de rompre avec l’idée reçue selon laquelle le salut économique résiderait dans la fuite en avant de la « croissance », guidée par les forces aveugles d’un marché livré à une concurrence internationale anarchique, et tirée par une démographie en expansion.

Par une notion dévoyée du progrès, ce mythe de la « croissance », vrai piège névrotique pour l’inconscient collectif, dénature à leur insu la vision des conseillers en économie de nos gouvernants successifs. Ils ont tout misé sur le rythme d’augmentation des activités économiques du pays, qui n’est rien, et ne se sont intéressés que par accident à la nature de ces activités, plus ou moins créatrices de valeur, qui font le Produit Intérieur Brut, ce qui est tout. Ils ont agi à la façon d’un automobiliste négligent qui bénéficierait d’une prime de son employeur calculée sur l’augmentation de son budget automobile par suite de coûteuses réparations et d’une consommation de carburant excessive liées à une absence d’entretien.

B.  L’éleveur qui aimait trop les vaches

Ce mythe de la « croissance » est à l’image d’un éleveur ajoutant chaque année une vache supplémentaire à son troupeau de laitières sélectionnées, bien que sa production de fourrage n’augmente pas. Sa passion lui masque la réalité : sous-alimentation, chute de la production laitière, amaigrissement du troupeau, augmentation des frais vétérinaires. Cet éleveur particulièrement incompétent, se lance alors, contre toute attente, dans l’achat régulier de lots de  vaches bradées par un voisin proche de la faillite, sensible au fait qu’il s’agit de vaches rustiques, produisant certes peu de lait, mais capables d’extirper jusqu’au dernier brin d’herbe de pâturages surexploités. Chaque vache supplémentaire entretient l’illusion d’enrichissement et occulte la chute de production et les pertes en capital d’exploitation.

Aveuglés par ce mythe, nos gouvernants ont négligé la mission pour laquelle ils avaient été élus, à savoir, préserver nos emplois industriels, améliorer nos conditions de travail, promouvoir la compétitivité de nos industries par des procédés de fabrication plus économes, promouvoir nos ressources humaines …. Ils n’ont pas rendu compte des pertes en capital d’exploitation, en ressources naturelles, en ressources humaines qui intervenaient derrière l’écran du mythe.

C. Le bon grain et l’ivraie : création ou destruction de valeur

Il est essentiel de prendre conscience du fait qu’une part significative des flux d’activités qui constituent le PIB sont destinés à compenser ce qui a été détruit ou consommé abusivement du fait des dysfonctionnements du moteur économique de notre pays et de la désorganisation de notre société : accidents; pertes de ressources naturelles, par la pollution et le béton; érosion des ressources humaines par le dévoiement et le cynisme de certaines méthodes de management; gaspillages de toutes sortes liées à l’autodestruction intégrée dans les produits et à leur renouvellement indûment accéléré; actions violentes de protestation, destructions lors d’émeutes, incivilités … etc.

Le cas de l’urbanisation en tâche d’huile est inquiétant. Il nous faudrait dit-on toujours plus de logements pour faire face aux besoins d’une population dont l’augmentation est prônée par de soi-disant experts pour relancer la « croissance ». Nous devons dénoncer cette fuite en avant névrotique, en reprenant l’image de cet éleveur qui aimait trop les vaches pour avoir la possibilité de leur conserver la santé, qui s’endette pour payer le vétérinaire, amène son exploitation à la faillite par l’acquisition à des prix d’ami de vaches supplémentaires tout en faisant fondre son patrimoine. Et nous devons souligner que d’après les critères de nos gouvernants, cet éleveur serait un excellent gestionnaire puisque son troupeau est en « croissance ».

Le problème réside dans le fait que la comptabilité nationale enregistre les flux d’activité sans faire le tri entre les activités créatrices de valeur, et celles qui résultent de la compensation de dysfonctionnements et autres destructions de valeur, et qu’aucun outil d’analyse relatif à la structure du PIB n’est à la disposition des responsables de la politique économique du pays : pourquoi n’ont-ils pas cherché à y remédier ? Peut-être parce qu’ils ignoraient qu’il y avait un problème !

D. Un cas de destruction de valeur : la« prime à la casse »

La « prime à la casse » illustre l’indigence de la pensée économique de ces gouvernants … jusqu’à l’écœurement. A tout prendre, il aurait été plus conforme à l’intérêt du pays de recruter des chômeurs pour leur faire creuser des tranchées durant les semaines paires, et les leur faire combler durant les semaines impaires : pas d’énergie ni de ressources rares consommées, absence de pollution, distribution de revenus, amélioration de la santé des employés par l’activité physique … et si par un trait de génie, il était décidé d’en profiter pour planter des arbres dans des zones menacées par l’érosion alors nous déboucherions sur de l’investissement productif et de la pure création de valeur !

E.  Vitesse optimale et altitude de croisière

Un avion au moment d’atteindre son altitude de croisière, stabilise ses paramètres de vol au niveau de leur valeur optimale et réduit sa consommation de carburant. Il devrait en être de même pour l’économie de notre pays, qui après une phase d’accumulation de capital productif liée à sa ré-industrialisation, se tournerait vers des activités de recherche et d’innovation qualitative tirées par l’aspiration très vive du peuple français à la qualité de vie et au bonheur, au contact d’espaces naturels préservés à la faveur d’une densité de population stabilisée. Cette « économie qualitative »  ou « économie optimale » (faire mieux avec moins de ressources), implique que nous affrontions les dysfonctionnements du moteur économique de notre pays, d’origine technique et aussi humaine, par une mobilisation en vue d’en améliorer le rendement, effort d’optimisation par excellence.

F.  Réparations urgentes et carburant bon marché

Si nous reprenons l’image de l’automobiliste négligent dont la voiture au moteur déréglé révèle des fuites multiples, il est clair que des réparations auraient toutes chances d’être les mesures les plus rentables, car un plein bon marché est très cher si le réservoir perd son carburant. Et c’est précisément l’obsession de la « croissance » qui a fait que les réparations qui s’imposent sur le moteur économique de notre pays ont été délaissées : préservation des ressources, qualité de la vie, recherches visant à réduire la consommation des hydrocarbures qui rendent notre pays si dangereusement dépendant de l’étranger .

Tel cet automobiliste recherchant le meilleur tarif pour faire le plein, en ayant pris soin de colmater les fuites du réservoir de carburant, il est certainement très important de proposer un nouveau mode de financement à très faible taux pour alimenter le budget national en revenant sur la loi de 1973, et réduire le rythme d’endettement du pays, mais que cela ne nous amène pas à délaisser le problème de fond ! Ce problème de fond ne revient-il pas en effet à faire en sorte que l’Etat soit meilleur gestionnaire en veillant à effectuer les réparations qui s’imposent et en mettant le pays en situation de vitesse de croisière dans le cadre d’une « économie de gestion optimisée ».

G. Une démographie stable protège l’environnement

Une population à effectif stable et une comptabilité nationale de la valeur mesurée en termes d’inventaires successifs et non en termes de flux d’activités indifférenciées, pourraient être vus comme les leviers essentiels, et les conditions nécessaires de la préservation de l’environnement et de la lutte efficace contre la consommation des espaces naturels, en proie au cancer de la prolifération urbaine, et contre la montée de l’agressivité au sein des espaces bétonnés de notre société.

H. Mettre fin au gaspillage énergétique du à la « croissance »

Vue notre dépendance à l’égard du pétrole, nous devrons mettre fin, dans l’urgence, au gaspillage de ressources énergétiques généré par la fuite en avant de la « croissance ». Dans cette perspective il nous faudra préparer la transition de l’économie de nos territoires vers une nouvelle époque, celle de l’après-pétrole à l’aide d’une gestion qualitative. A la faveur de la mutation de nos modes de vie actuels, il s’agit de jeter les bases d’une nouvelle civilisation économe en ressources naturelles et humaines à travers de nouvelles formes d’urbanisme intégré telles que les éco-hameaux, privilégiant qualité de vie, et convivialité.

I.     Vers l’économie de la qualité et de l’optimisation

En dépit des signaux d’alerte de plus en plus nombreux pour nous avertir que « Nous allons dans le mur », il semble qu’aucune solution alternative ne soit présente à l’esprit de nos concitoyens de sorte qu’ils se laissent entraîner malgré eux sur la voie de détresse de la « croissance ». Une rupture radicale s’impose, celle de l’économie qualitative, de l’optimisation de l’économie, de la création nette de valeur, caractérisée par une stratégie de reconquête, de la gestion rationnelle de leurs désirs et de leurs besoins, par les consommateurs à la lumière de la parole du Mahatma Gandhi « Le monde contient suffisamment de ressources pour subvenir aux besoins de tous et non à la cupidité de chacun » dont il faut souligner la cohérence avec le principe de l’autosuffisance alimentaire des peuples.

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2 Comments

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  • Manso , 31 mars 2012 @ 18 h 12 min

    Sans revenir sur le reste de cet excellent article, je ne peux que souscrire au fait que : « Une démographie stable protège l’environnement ». Malheureusement nos gouvernants, au niveau national, comme au niveau mondial, ne semblent pas se préoccuper de cette question. C’est d’ailleurs pour cette raison qu’est née Démographie Responsable, association dont le but est d’alerter nos concitoyens sur le fait que notre effectif est en grande partie à l’origine des maux écologiques que nous connaissons.

  • Didier Barthès , 31 mars 2012 @ 21 h 27 min

    Tout cela est juste, et l’on commence à trouver d’ailleurs dans la littérature économique quelques points de vue qui vont en ce sens, même s’ils ne sont pas encore majoritaire et si le “croissancisme” a encore trop d’adeptes.
    Je suis heureux de lire enfin des propos raisonnables sur la démographie, je veux dire des propos qui ne se réjouissent pas béatement du ” toujours plus”. Ce point est central car si nous ne maîtrisons pas notre nombre, alors tous nos efforts en matière d’environnement seront mécaniquement réduits à néant.
    Sur cette question démographique, j’irais plus loin que vous. La stabilité que vous appellez de vos voeux présente une certaine vertu, mais au point où nous en sommes, c’est à dire 7 milliards nous avons déja dépassé ce qui était supportable pour la planète (les espèces de grands mamifères sont toutes en grand danger). Il me semble qu’il faut désormais envisager une réduction de nos effectifs, réduction qui pourrait être atteinte par une baisse de la fécondité, baisse modérée maisqui perdurerait pendant quelques générations.
    Trop peu de mouvements se préoccupent de cette question.
    Cordialement.

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