Non possumus

Confession d’un chrétien indigne, par Jacques de Guillebon*

En temps d’élection, les cathos se souviennent généralement qu’eux aussi ont le droit de parler : alors ça les démange, ça pétitionne dans tous les coins, ça péennennise furieusement, ça anathématise, ça gigote, ça conspire, ça prend des paris, ça discutaille, ça se réunit, ça lance des initiatives, ça écrit des documents fondateurs et ça fulmine des règles de base. Et comme d’habitude, tout cela échoue aux pieds du candidat de la droite. Pas de n’importe quelle droite, mais celle de l’argent, mais celle de pouvoir, mais celle de domination, mais celle de la bourgeoisie, mais celle en costard, aux cheveux bien peignés, qui a fait Sciences Po ou HEC. Ainsi, cela échoue aujourd’hui, encore une fois, aux pieds de Nicolas Sarkozy.

Mais pour moi, mais pour nous, et il est désolant pour tout le monde de devoir le répéter, pour nous comme pour vous, c’est non possumus. Ce n’est pas qu’on ne nous ait sollicités, ce n’est pas que l’on ne nous ait priés, ni fait miroiter des oasis en plein désert, des rêves de délices stupéfiantes et des lendemains bien doux si nous voulions seulement accéder à ce geste simple, faire tomber dans l’urne le nom du président sortant, et convaincre supplémentairement nos amis, nos camarades de se joindre à l’immense mascarade de la résistance votative au catoblépas Hollande : songez, nous disait-on, cet homme dès qu’il sera au pouvoir accordera le mariage et l’adoption aux couples homosexuels. Et c’est bien vrai, répondions-nous. Songez encore, continuaient nos avocats de la cause de l’ordre, qu’il va tuer nos vieux, dépecer le fruit de nos entrailles et faire entrer en masse dans le pays les petits négrillons qui prendront nos places. Ce n’est pas si faux, rétorquions-nous. Alors, nous pressait-on, mais qu’attendez-vous pour faire barrage, même en vous bouchant le nez ? Rien à perdre à ce pari que l’homme au pouvoir depuis cinq ans demeurera dans les cinq ans nouveaux intégralement statique, parfaitement immobile sur ces questions de mœurs. Avec lui le pire n’est jamais sûr, nous assommait-on enfin. C’est une bonne raison de voter pour lui. C’est ainsi que s’achevait la péroraison de nos diables de contemporains catholiques.

Mais nous, nous pensions bien autre chose, nous nous rappelions Nos Seigneurs les évêques de France, et nous songions qu’ils avaient pondu un bien étrange document, très plat, très simple, très minimal sur le comportement qu’en tant qu’ouailles il nous fallait adopter devant l’élection. Pourtant, ils y avaient travaillé à ce document de référence, mais nous songions que tout cela ne serait qu’un nouveau coup d’épée dans l’eau si l’unique conséquence en était la reconduction de l’homme au pouvoir. Nous nous disions alors qu’il ne servait de rien de discuter tant d’heures, de monter de si grands chevaux pour finir en rondins de barrage. Car tout convergeait par là : faire barrage. Noble expression bien amoindrie par le temps démocratique : il ne nous aurait pas déplu en une autre époque de faire barrage de nos corps pour sauver quelque curé de paroisse ou même une Éminence du coup de fusil d’un laïcard échauffé. Mais cela, c’est bon pour les Cristeros, pas pour nous, peuples civilisés, car nous, nous sommes, imbéciles !, appelés à faire barrage de nos voix – c’est comme cela que l’on appelle par antiphrase ce petit morceau de papier sourd, aveugle et muet que l’on jette dans l’urne au cours de la dernière cérémonie républicaine lorsqu’une rombière à lunettes prononce de sa gorge sonore : « de Guillebon Jacques, Marie, Armel, a voté », parce qu’il est très important que tout le gymnase connaisse votre troisième prénom, au cas où vous eussiez usurpé l’identité d’un autre, et qu’après vous signez veulement dans le trou d’une règle l’abandon de votre souveraineté à un aigrefin sélectionné seulement sur ses actes de piraterie – nous sommes appelés à faire de nos voix barrage à la barbarie. Quels courageux imbéciles nous sommes, vraiment. Ne nous voilà donc pas revêtus comme une fois tous les cinq ans de la plus étincelante parure, du manteau de sacre où seules manquent les fleur de lys, ne nous voilà pas, peuple prêtre en train de faire un roi ? Admirable mission, à laquelle certainement il ne faut pas manquer, car c’est notre honneur de corps électoral tout entier qui est en jeu. Car en effet, choisir François ou Nicolas, quel fatum, et quel destin inouï ne décide pas notre balance !

Car en effet, choisir François ou Nicolas, quel fatum, et quel destin inouï ne décide pas notre balance !

Nous songions donc à ces diables de catholiques nos contemporains, tous joyeux à l’idée de pouvoir une fois encore porter sous les ors du pouvoir un crétin quelconque qui au moins, lui, ne nuirait pas à la cause, et nous nous demandions quelle parole il avait donc donnée pour que nous dussions le croire ainsi. Nous nous rappelions tout à fait par inadvertance que cet homme-là avait été au pouvoir pendant cinq ans, et faut-il que notre mauvais esprit nous joue des tours, nous revenaient en tête ses innombrables menteries de gosse pris la main dans le pot de confiture, ses ouvertures, ses retournements, ses roueries, ses stratagèmes, ses volte-face, ses doubles visages, ses ruptures d’alliance, son autocratique mode de gouvernement, sa hâte à renvoyer, à licencier, à donner son congé comme à s’attacher à la nouveauté ; ses passions aussi, ses amours, ses goûts flottaient dans l’air vicié de notre cerveau et décidément ne nous revenaient pas. Fariboles, balayaient d’un revers de main nos camarades catholiques, il n’y a aucune raison de le faire, mais nous devons lui faire confiance. Cet acte de foi cependant nous déplaisait, et nous admirions sincèrement que Nos Seigneurs les évêques comme les innombrables et puissantes associations catholiques de tout acabit qui le prenaient soudain pour Bonaparte n’aient pas eu une seconde la coupable idée de demander des gages.

Oh, que non, nous aurait-on aussitôt répondu si nous avions émis cette objection le rouge au front comme l’on rote chez la bourgeoise de Neuilly, chez nous autres catholiques, gens de bien, on n’a pas l’habitude de procéder ainsi. S’il ne s’agissait que de louer un bouge à un pauvre hère, croyez bien qu’alors nous demanderions des cautions et des garanties, car il faut toujours se méfier des miséreux. Mais là, voyez, sans rire, nous sommes entre gens de bonne compagnie et l’on peut se faire confiance, et l’on doit faire confiance sans rien réclamer, car réclamer serait briser l’harmonie que nous avons su créer entre ce pouvoir et nous autres, les catholiques de France. Oh, on ne nous donne pas grand chose, mais après tout, nous ne demandons pas grand chose.

Nous le voyions bien, imbéciles !, que nous ne demandions pas grand chose. Nous ne demandions même rien. C’est tout juste si, charitables comme nous sommes, nous n’étions pas prêt à donner nos voix pour l’éternité, à faire une procuration générale comme il y a des confessions, pour que durant les siècles des siècles le candidat de la droite d’argent puisse en user comme bon lui semblerait, sans avoir plus jamais à se déranger, le pauvre, pour quémander avec humilité nos suffrages.

Alors nous songions, naïvement, que la politique en temps démocratique plus qu’en aucun autre, c’était l’art de la négociation. Et nous disions à nous-mêmes, dans notre intérieur, que peut-être si nous n’étions pas ces hommes qui n’osent rien demander, qui se croient infondés à rien exiger, nous aurions voulu que des gages nous fussent donnés que notre vote serait respecté. Par exemple, le candidat aurait pu nous promettre quelques ministères, cela aurait eu du panache : Xavier Lemoine à l’Intérieur, Tugdual Derville à la Santé, Anne Coffinier à l’Éducation, Christine Boutin à la Famille. Voilà le minimum à partir duquel on eût pu s’entendre. Dans ce cas-là, nous aurions pu voter pour lui, car c’était aussi voter pour nous.

Mais la réalité n’a pas ces apparences. Aussi, pour nous, le 6 mai c’est non possumus.

*Jacques de Guillebon est un écrivain, essayiste et journaliste français. Il écrit dans La NefPermanences et Témoignage chrétien.

Lire aussi :
> Ce que doivent faire les hommes libres le 6 mai 2012

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38 Comments

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  • 0 / 10
  • albert , 28 avril 2012 @ 17 h 38 min

    Vous passez votre temps à cracher dans la soupe de votre famille de pensée en vous fendant de tribunes soi disant alternatives et à contre courant et maintenant que vous avez depuis un certain temps semé la zizanie, vous vous étonnez que l’influence des chrétiens soit si faible.
    Vous êtes un tartufe complexé dans une famille que vous passez votre temps à malmener.
    Allez donc prendre quelques coups dans la banlieue nord ou la banlieue est. Vous nous reviendrez dépucelé de votre catholiquement correct et un peu plus apte à distinguer les vrais combats des chimères.

  • Pascal Jacob , 28 avril 2012 @ 18 h 01 min

    Autant je suis habituellement grand amateur de votre plume, autant je la vois là trempée dans l’encre d’un idéalisme politique des plus imprudents. Peut-être, mais s’abstenir ne vous lavera pas les mains. Vous annoncez Maurras, le style serait presque celui de Bloy, c’est Pilate qui surgit. Non, mauvaise idée !

  • Chris du Fier , 28 avril 2012 @ 18 h 04 min

    L’ indignation devient à la mode pour nos jeunes chrétiens qui tentent de nous faire part de leurs derniers états d’ âme en matière politique….. Certains sont en passe de devenir des bobos chrétiens ?… Ma fois ! Il faut bien que jeunesse se passe, et avouons que la prose de notre jeune ami Jacques, Marie, Armel de Guillebon est pétillante de jeunesse…..Il a toute la vie devant lui pour apprendre les roueries et les arcanes de ce vieux métier (aussi vieux d’ ailleurs que celui de la prostitution à laquelle il ressemble étrangement) qu’est la politique. Bonne chance à lui.

  • Neo , 28 avril 2012 @ 18 h 20 min

    Tout à fait d’accord qu’il aurait fallu tenter de négocier, etc., que le bilan du sieur pour qui il faut voter est exécrable, etc.
    N’empêche que, hic et nunc, nous avons le moyen d’empêcher, en tout cas pour cinq ans, c’est en tout cas probable, lesdites horreurs, avortements, euthanasie, enfants privés de père et de mère. Nous en avons le moyen et ce, par un moyen qui est en soi neutre et qui n’implique aucune illusion, aucun soutien, n’enlève aucun moyen de bâtir une autre société, aucun droit de critique — car, non, voter pour quelqu’un n’implique aucun “abandon de souveraineté”, à moins de croire vraiment à la mystique démocratique (ce n’est en tout cas pas mon cas). Il nous est donc un devoir d’utiliser ce moyen. Point.
    Et aller sortir des “non possumus” parce qu’il ne nous aurait pas donné de ministère, c’est dégrader la force historique de ce mot, dû à l’exigence du respect du commandement sacré d’adorer Dieu.

    Pour répondre à encore un argument, il ne s’agit pas de faire confiance aveuglement, non. Il s’agit de peser la certitude du pire qui nous attend de l’autre côté, avec les chances réelles, si ce camp, exécutif et législatif, est élu, d’éviter cela. Je dis cela alors que je suis guère libéral, encore moins bourgeois, et que beaucoup d’attitudes typiquement de droite envers la solidarité, les immigrés, les déshérités d’ici ou d’ailleurs, certes également repérables chez certains barons socialistes, me hérissent. Mais il y a une question de priorité, claire pour moi.

    Ceci dit, je comprends tout à fait le raisonnement de J. de Guillebon. J’aimerais juste qu’il évite de plaquer une catégorie sociologique sur ceux qui tiennent le raisonnement qu’il combat (celui qui écrit ces lignes est immigré, chômeur, assez écologiste et au moins en partie antilibéral). Comprenant son raisonnement, je trouve simplement qu’il ne tient pas face à l’importance des enjeux : la France sera-t-elle — on pourrait presque dire, continuera-t-elle d’être, vu sa différence de plus en plus impressionnante, mine de rien, avec les pays voisins — un môle de résistance à l’élimination des personnes âgées (pour prendre cet exemple, et n’oublions pas : là où elle est passée, l’euthanasie jusqu’ici jamais n’a été retoquée, au contraire, elle a été élargie aux adolescents, aux nouveaux-nés, aux malades mentaux), se voyant qui plus est privées de ce qu’on appelait naguère la “bonne mort”, librement préparée et acceptée, risquant ainsi non seulement la première mort, mais la seconde ?
    Ou précipera-t-elle, par sa propre chute, le naufrage de l’Europe dans ce qu’il faut, effectivement, appeler “barbarie” ?

  • Réné J , 28 avril 2012 @ 18 h 33 min

    NON POSSUMUS…..
    Cette expression a un sens bien particulier que vous galvaudez.
    C’est bien de mythoner en voulant se mettre dans le sillage des grands hommes et des grandes formules mais cela ne suffit pas à faire un bon titre…

    Sortez du style….et n’invoquez pas les muses, les déesses ni les papes au moindre combat….

  • Christophe HOREN , 28 avril 2012 @ 19 h 30 min

    Il a lesmains propres, mais inl n’a pas de mains (ou alors 2 mains gauches !)

  • Robert , 28 avril 2012 @ 19 h 30 min

    Rien que le titre met dans l’ambiance “confession d’un chrétien indigné.”
    Rien de moins!
    On ne se mouche pas du coude chez monsieur “de”.
    Mais encore un peu d’effort, il ne suffit pas de lire Bernanos pour avoir une once de son talent.
    Dur, dur, d’être le neveu de qui vous savez!

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