Théâtre d’ombre et clair-obscur

par X…*

Un doute demeure. Je n’ai su déterminer avec certitude si figurait lors de la production à Avignon de la pièce « Sur le concept du visage du fils de Dieu », une scène de projection d’excréments sur l’écran où est projeté le visage du Christ. Si tel était le cas, je comprendrai l’émotion que cela suscite, mais cela ne suffirait pas à me réduire aux choix opéré par les intransigeants qui ont perturbé la représentation au Théâtre de la Ville de Paris.

Romeo Castellucci n’est pas l’antéchrist que certains ont dépeint

Je me demande s’ils ne se sont pas trompés de « client ». N’ont-ils pas confondu avec Golgotha Picnic ?

Si l’obsession de l’usage d’excréments humains dans le non-art contemporain m’est odieux, je ne peux être insensible à la mise en scène de la fragilité humaine, de sa misère, même, qui, trouvant sa cause dans le péché originel, fait de tout chrétien un ami des petits, des blessés, des diminués, des faibles, que le temps s’ingénie à faire de nous tous.

Et sans flatter cette pièce que d’ailleurs, je n’ai pas vu, comme la plupart de ses opposants, on ne peut nier que le projet de son auteur est de mettre en lumière la misère humaine. La pièce est sans doute maladroite, convenue, mauvaise même. Ce n’est pas mon propos.

Un sombre bilan

La chrétienté n’est plus ce qu’elle était, partout elle recule, de religion de tous elle devient confession minoritaire, elle s’est aussi beaucoup amoindrie . elle-même, pêchant, s’il était possible, par un excès d’humilité. Et je le regrette. Les chrétiens sont persécutés en Afrique, en Asie, au Proche-Orient, au Moyen-Orient, en Inde dans le silence assourdissant des belles consciences.

En France, un laïcisme un brin paranoïaque imprègne la quasi totalité du champ public, l’école, l’hôpital, la justice, les média. Il est de bon ton de montrer combien on est éclairé en faisant assaut de distance critique, de mépris, d’irreligion. La place centrale de la foi catholique dans l’histoire de France est niée par l’ensemble des institutions au mépris de l’évidence factuelle.

La place légitime du christianisme comme système de référence intellectuelle et culturelle est oblitérée, l’absence d’intellectuels chrétiens, même lorsqu’ils existent, est criante, le déni hystérique du fait religieux, la cécité spirituelle des « élites » constitue un scandale quotidien.

Il faut y remédier. Reste que cette pièce ne constitue pas le coup d’envoi de la persécution. 

Nœud gordien

Nous assistons dans cette triste affaire à un écheveau de malentendus, de dialogue de sourds et de non dits. Je vais tenter d’en mettre à jour quelques uns.
Tout d’abord, un mot sur les protagonistes.

L’auteur est un italien. La France, plongée dans son provincialisme nombriliste ne connaît pas le climat intellectuel transalpin. En Italie, le catholicisme imprègne subtilement l’ensemble du champ des significations. Si cette pièce est loin de dévoiler manifestement, évidemment, une vérité – ce qui reste le privilège des chef-d’œuvres – ce qu’elle n’est sans doute pas au vu des préjugés artistiques de son auteur- si elle ne convient pas à tous les publics, si elle peine à convaincre, si elle échoue à atteindre sa fin, elle reste emprunte de l’intention légitime de son auteur d’interroger la figure du Christ. C’est peut-être une mauvaise pièce, mais ce n’est pas une pièce antichrétienne.
Son auteur a un rapport ambigu à la Révélation chrétienne, mêlant révolte, incompréhension mais aussi interrogation et fascination. Qui peut réduire à rien la tension avec le phénomène le plus inédit, le plus scandaleux, le plus fou (Saint Paul) de l’histoire de l’humanité ?

Qui dira que la foi c’est facile, évident ? Qui témoignera contre la nuit obscure de Sainte Thérèse d’Avilla ou bien encore contre Sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus qui disait comprendre les athées ?

Interdit de ne pas interdire

Un des scandales que recèle cette affaire, c”est la logique de l’interdiction, de la disqualification, de la liquidation qui prévaut dans tous les camps : les « cathos » veulent interdire la pièce, alors qu’ils auraient pu légitimement contester les subventions dont elle bénéficie, les « cultureux » veulent voir les catholiques « dégager », les pouvoir public veulent empêcher le débat ou les empoignades par le déploiement délirant de la maréchaussée.

La répression fut féroce, à mesure même de la docilité des chrétiens. La logique de la répression et la pratique de la rafle constitue le second scandale de cette affaire : on ne voit jamais les choses en arriver à ce point avec des publics moins dociles, comme l’extrême-gauche, les pro-palestiniens ou les syndicats. On voit bien que le rapport de force est très défavorables au « cathos », souvent très jeunes, inorganisés, inexpérimentés et dénués de culture oppositionelle.

Les catholiques intransigeants se sont sentis blessés dans ce qu’ils ont de plus précieux. C’est leur sensibilité. Ils ont le droit d’en témoigner sans se voir interdits de débat. Seulement le veulent-ils seulement ? Nous n’avons entendu parler que d’interdiction.

Interdire la création, même mauvaise, n’est pas conforme à la logique de liberté qui est au cœur du message évangélique. Et même, interdire, pour faire quoi à la place ? Où sont les dramaturges, les peintres, les romanciers, les cinéastes chrétiens ? Les compagnies de théâtre de patronage, avec fausse barbe en coton hydrophile et tunique en toile de jute, ne font pas une action culturelle. Nous payons aujourd’hui l’abandon, la désertion de la culture, des médias, de l’enseignement depuis quarante ans au profit du commerce, de la banque, de l’assurance, de l’armée…

Un dialogue de sourds

Les jeunes catholiques qui ont perturbé la pièce de théâtre n’ont pas eut l’air de se rendre compte qu’interrompre une pièce par des prières – ô scandale pour des agnostiques – constituait pour les milieux culturels parisiens un sacrilège. En effet, dans ces milieux, attachés aux livres et non au Livre – au sens développé par Benny Lévy et Alain Finkielkraut – porter atteinte, même dans le cadre d’un débat sérieux et profond, à une représentation théâtrale constitue un acte d’une gravité extrême par les évocations – imaginaires – mais auxquels ils sont très sensibles – de censure, d’inquisition, d’autodafé.

Pour eux, qui sont insensibles aux vérités de la Foi, les sommet des réalisations humaines relèvent de la vie intellectuelle, de la création, des arts. Le cinéma et le théâtre sont leur liturgie ordinaire et extraordinaire, les livres leurs Ecritures, les média leur bréviaire, l’école leur Temple etc.

Interrompre la représentation constituaient pour les « cultureux » un sacrilège.

Pour ces catholiques, cette pièce porte atteinte à notre Foi et constitue un outrage. Dialogue de sourds. Inattention réciproque. Nous sommes plus coupables qu’eux, parce que nous avons beaucoup reçu. Cela nous fait des devoirs.

Certes, nous avons le devoir de nous opposer à l’iniquité, surtout contre ce qui est juste et bon, et partant contre Dieu, mais si nous devons être comme Saint Dominique, les chiens de Dieu, nous devons l’être de tout notre cœur, de toute notre Foi… mais aussi, de toute notre intelligence.

Parce que c’est mignon de se laisser emballer comme des agneaux, mais nous devons aussi, selon le commandement du Seigneur, être rusés comme des serpents. Et, là il faut le dire, on est loin du compte.

Quelques non dits

Les indignés sont animés par un noyau de catholiques traditionalistes proches de la Fraternité sacerdotale Saint-Pie-X, initiée par Mgr Lefebvre. Cette dernière est engagée dans un processus de négociations avec Rome afin de lever les excommunications et les obstacles à un ralliement plein et entier à l’Eglise de Rome.

Seulement, la Fraternité Saint-Pie-X est traversées de contradictions et nourrit des oppositions à ce ralliement. Certains veulent peser, voire empêcher les négociations avec Rome.

Le contexte politique, marqué par la marginalisation des catholiques au sein du Front National depuis plusieurs années conduits les éléments les plus déterminés de ce milieu à engager un rapport de force et de notoriété pour faire subsister leur synthèse nationale-catholique. On assiste là à un véritable effet d’aubaine.

Les milieux « culturels » parisiens quant à eux jubilent à l’idée de voir confirmer leur préjugés éculés sur la domination patriarcale, chrétienne, nationale qui cherche à opprimer une création frondeuse et subversive, se donnant à peu de frais le beau rôle de résistants contre un fascisme tapi dans l’ombre et prêt à ressurgir à tout instant pour imposer le règne de la censure et de l’obscurantisme. Aubaine là encore.

La réalité c’est que les milieux « cultureux », minoritaires et subversifs dans les années cinquante sont devenu la domination. Leurs outrances sont devenues les lieux communs de l’époque. Ils ont imposé, partout et sans cesse, depuis quarante ans, la subversion subventionnée avec l’argent du contribuable, au point que la culture classique étouffe, en plus d’être devenue suspecte : il est devenu quasiment impossible de voir une pièce classique ou antique jouée sans y voir ajouter des « audaces » convenues et dérisoires.

Les pouvoirs publics sont quant à eux dans un grand embarras. Dans le climat de crise, de risques d’emballement, ils craignent tous les mouvements de foule qui pourraient dégénérer suite à un incident toujours possible. Ils éteignent toute contestation organisée par des déploiement de forces de police disproportionnés. La culture jacobine, si typiquement française de confiance aveugle dans l’Etat se voit confirmée au détriment du débat public, fut-il viril, comme l’histoire littéraire et artistique française en témoigne abondamment : Hernarni c’est fini.

Les jeunes catholiques ont quant à eux eu leur part de gratification.

En priant, en chantant en latin, en se comportant comme les martyrs des premiers temps, ils se sont envoyé de bonnes doses d’auto-gratification, sans jamais porter de coup sérieux à leurs adversaires d’occasion.

Politique d’abord – 2012 : pas une voix pour l’UMP

Nos intransigeants semblent ignorer que les solutions aux maux qu’ils dénoncent sont politiques.

Ni culturelles, ni religieuses.

Ils témoignent de leur inconséquence en se réfugiant, pour les uns, dans un vote frontiste stérile et inutile pour les uns, dans un vote mécanique pour l’UMP, qui les trompe et leur envoie la police, pour les autres, en faisant profession d’apolitisme pour la plupart, enfin, en se calfeutrant dans des logiques groupusculaires maximalistes et inoffensives pour le petit reste.

La réponse aux mots de la Cité est politique, et elle passera par une résurrection d’une droite authentique indépendante de l’UMP et qui saura éviter les ornières de l’exrême-droite nationale-catholique jusque récemment égarée au Front, avant la purge mariniste.

L’UMP n’aura rien changé au climat culturel malgré ses promesse de rompre avec 68. Elle a envoyé la police aux indignés du Théâtre de la Ville, elle aura laissé les mains libre aux rentiers du non-art payés avec vos impôts… Elle aura laissé en l’état l’ensemble des mesures sociétales mises en place par la gauche (avortement à 12 semaines, alphabétisation à la contraception, Pacs, ect.), elle aura laissé passer le gender… Que vous faut-il de plus ? Qu’est-ce qui est décisif, qu’est-ce qui est accessoire ? Qu’est-ce que le Christ attend de nous ? Qu’on perturbe des divertissements ou que nous nous jetions au cœur de la mêlée ?

*X… est un catholique.

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14 Comments

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  • 0 / 10
  • anne , 28 octobre 2011 @ 9 h 47 min

    Bravo pour cette humilité et cette intelligence

  • Myriam Picard , 28 octobre 2011 @ 10 h 01 min

    Je ne sais pas qui vous êtes, Monsieur, mais si j’avais jamais la possibilité de vous rencontrer en chair et en os, j’en serais très heureuse. Votre article est profondément juste, équilibré, vrai. Je suis même un peu jalouse de vous, et trouve dommage qu’avec une telle plume et une telle réflexion vous écriviez sous pseudo (ce que je comprends néanmoins très bien). Vous m’ôtez les mots de la bouche. Je partage votre point de vue sur Castelluci et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’irai voir la pièce ce soir. Vous joindriez-vous à moi? afin que nous confrontions nos points de vue? Bien amicalement, Myriam Picard

  • X. catholique , 28 octobre 2011 @ 11 h 45 min

    Madame, je serais quant à moi curieux de vous rencontrer.
    Vous pouvez demander mes coordonnées à la rédaction, qui vous les transmettra sans aucun doute. Pourquoi pas… Je crois que la pièce n’est pas très bonne, mais après tout, ce n’est pas le plus important… J’irai avec vous avec grand plaisir.
    je suis obligé d’écrire sous le couvert de l’anonymat parce que j’ai déjà eu à souffrir un peu de mes engagements politiques…
    Amitiés.

  • RH , 28 octobre 2011 @ 12 h 58 min

    Attention de pas vous faire retourner le cerveau comme un gant… pour aller voir une “pièce” où le caca joue un rôle essentiel, faut quand même être un bobo chargé au niveau du vécu. Passez une bonne nuit, faites un tour du cadran, puis un bon café et quelques tartines, sortez prendre l’air dans la nature, et vous retrouverez le sens des choses.

  • BL , 28 octobre 2011 @ 14 h 55 min

    “En priant, en chantant en latin, en se comportant comme les martyrs des premiers temps, ils se sont envoyé de bonnes doses d’auto-gratification, sans jamais porter de coup sérieux à leurs adversaires d’occasion.” Pour qui vous prenez-vous en dénigrant ces gens là de la sorte ? Qui êtes-vous pour savoir que l’impact a été nul ? En tout cas, devant le Tribunal, après 24h de garde à vue, ils donnent leur vrai nom… c’est un peu plus courageux que de signer X. derrière un ordinateur ! Que diriez-vous si j’affirmais que votre article au sein duquel vous soufflez le chaud et le froid est un prétexte à votre lâcheté… alors, ne faites pas aux autres… et vous connaissez la suite !

  • Milan , 28 octobre 2011 @ 15 h 23 min

    Je ne me fais pas de mauvais sang quant à la raison de Monsieur X. Pour commettre un texte comme celui-ci il faut avoir le bon sens chevillé au corps, une âme forte, une foie éclairée et être un homme enraciné. Bien entendu “le politique d’abord” puisque tout est politique.

  • X. catholique , 28 octobre 2011 @ 16 h 03 min

    @RH – j’ai dot que je crois que la pièce est mauvaise… en effet.
    @ BL – Si je ne signe pas ma tribune ce n’est pas parce que je crains les remarques voire les attaques des indignés du Théâtre de la Ville, avec qui je compatis et que je suis prêt à entendre.
    C’est que je ne souhaite pas donner des armes à mes adversaires politiques
    de gauche pour me “loger” et nuire encore à ma carrière passablement compliquée par mon passage de longue durée dans un “groupuscule obsidional” qui à durablement affecté ma vie économique – parce que j’ai aussi des devoirs d’état – une famille – et qu’être véritablement de droite nous est pratiquement interdit.

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