Le goût du sang

Actualité de Lucien Rebatet

Il faut féliciter hautement Robert Belot d’avoir réédité sa monumentale biographie de Lucien Rebatet [1]. Car elle est encore plus actuelle que lorsqu’elle fut publiée il y a vingt ans aux Editions du Seuil. Cette actualité ne vient pas seulement de la nouvelle édition, chez Bouquins, complète cette fois, des Décombres [2], le livre-culte de Rebatet. Mais aussi du climat de terreur que des voyous auto-proclamés djihadistes, répandent dans la France des zincs dézingués, dont l’auteur de ces lignes est un client fidèle, même s’il n’a aucun goût pour le « métal de mort ». Disons tout de suite que Belot ne tombe pas ici dans le snobisme récurrent d’une certaine classe intellectuelle dévote de Chardonne et de Morand, qui considère Rebatet comme un écrivain de talent qui se serait trompé de bonne foi et qui aurait eu au moins le mérite de dénoncer talentueusement les turpitudes de son temps.

Puisque Céline est passé à la postérité, pourquoi s’acharnerait-on sur son jumeau, du moins le jumeau que Rebatet a essayé d’être ? N’avait-il pas connu lui aussi un énorme succès de librairie au moment de la publication des Décombres, à l’été 1942 ?

La valeur prémonitoire du « désir exterminationniste » des juifs que Rebatet exprime dans son « chef d’œuvre », que révèle Belot, est pourtant bien troublante : le 16 juillet 42, le jour même où on lui remet les premiers exemplaires de son livre, la rafle du Vel’ d’Hiv inaugure le « voyage au bout de l’horreur » des juifs de France. L’écrivain a ainsi le triste privilège, remarque Belot, d’être le seul intellectuel français à avoir exprimé, dans un livre à succès, une politique aussi radicale, convaincu qu’il est, selon une expression tirée du manuscrit du pamphlet mais qui n’a pas été publiée, qu’ « on ne saurait assigner aucune limite à l’antijudaïsme de l’État fasciste ». De même Rebatet a été un des rares journalistes de quelque renom à exprimer sa «joie » quand l’occupant allemand rend obligatoire, en mai 1942, le port de l’Étoile jaune, observe son biographe.

Aujourd’hui encore, on trouve des lecteurs fervents, non certes de l’indéfendable Décombres (encore que…), mais des Deux Etendards, ce trouble roman auto-biographique, publié en 1951, dans lequel Rebatet instruit le procès de l’humanisme et de la démocratie au nom de la lutte contre les valeurs judéo-chrétiennes. « Je tiens le fil, explique le double de Rebatet dans les Deux Etendards : les vieux joudes bibliques (sic), le Baptiste, le rabbi Jésus, demeurant tous cousins, même quand ils tirent à hue et à dia, les vaticinations de codifications de Paul, le Jean de Patmos, ce Levantin, avec ses bribes mal digérées d’idéologies grecques, et toute la procession des autres fabricants… »

Rebatet, lui-même, n’a jamais considéré qu’il se fût trompé. Belot le rappelle ici utilement comme il l’avait fait dans un précédent ouvrage [3] : l’auteur des Décombres, après la débâcle de l’Allemagne hitlérienne, estime qu’il se trouve dans le camp des vaincus subissant la version de l’Histoire écrite par les vainqueurs. Il ne se sent donc pas coupable. Il ne clame pas, non plus, son innocence. Car ce serait encore une manière de « croire à la Justice ». La distinction entre le bien et le mal semble ne pas appartenir à son univers moral et intellectuel. On peut y voir une filiation perverse avec le Traité de Versailles, une de plus. Les Allemands pouvaient inférer de cet infâme traité qu’on les considérait comme coupables (du déclenchement de la Première Guerre mondiale), parce qu’ils étaient vaincus, alors que la France et la Russie étaient les premières responsables de cette géante et démente tuerie. Pour Rebatet, les juges de Nuremberg ont le même statut historique celui des vainqueurs de 1918. Il fait école encore aujourd’hui !

Rebatet est d’autant plus actuel qu’il nous fait comprendre la stratégie de la terreur qu’utilisent les djihadistes. L’horreur accoutumant à l’horreur, la terreur génère des terroristes autant que les terroristes, la terreur. En témoigne la réaction de Rebatet au massacre de la Nuit des Longs Couteaux, le 30 juin 1934. Ce fut, à le lire, l’événement cristallisateur de son irrésistible attraction pour le nazisme. Après le massacre perpétré par Hitler lui-même, il n’hésite pas à avouer qu’il connaît sa « première grande sensation fasciste ». « Moi, se souvient-il, je voyais ce chef fondant comme l’aigle sur les coupables, opérant lui-même. Et j’entendais les trombones de la Walkyrie. » On retrouve la même sensation morbide chez Brasillach quand il compare Hitler à l’ « archange de la mort » à propos de ce même crime de masse. Rebatet, pour en revenir à lui, en vient par ailleurs à souhaiter la mort physique d’un certain juif nommé Worms (et à travers lui celle de tous les autres) : « Je lui ferais, je l’affirme, s’il était utile, couper la tête sans ciller. » Couper la tête, vous avez bien lu …

Comment un intellectuel, critique musical reconnu de ses pairs à l’époque, a-t-il pu contracter ainsi le « goût du sang » ? Le sang des autres, bien sûr, car ce poltron a toujours cherché – et réussi – à sauver sa peau. Le martyre n’est pas sa vocation, ce qui le distingue de nos modernes nazis. Il reste tout de même cette soif sanguinaire qui, explique Belot avec raison, ne peut se comprendre sans tenir compte de son anti-humanisme et de son anti-christianisme. Le christianisme aurait dû être une barrière contre cette immonde barbarie, mais il ne l’a pas été. A cause de la déchristianisation en œuvre depuis plusieurs décennies ? Si c’est le cas, le ventre est encore fécond d’où etc…

…ET LE DEGOÛT DU SEXE

Ce goût du sang pourrait ne pas être sans rapport avec le dégoût du sexe – hypothèse que soulève son biographe – dégoût issu d’un certain complexe né dans l’adolescence malheureuse du personnage, qui expliquerait aussi son antisémitisme virulent. Le juif est phantasmé par Rebatet comme un séducteur invétéré, sexuellement hors pair, parachevant sa réussite financière, politique et culturelle par la conquête des cœurs et des corps des femmes : « Ils couchaient avec nos plus belles filles » ; « ils se vautraient dans les beaux bras de leurs esclaves chrétiennes ». Tout se passe comme si Rebatet projetait sur les juifs ses cauchemars d’impuissance. Même corde ultra-sensible pincée par son maître Céline, qui dispose, il est vrai, d’un autre plectre : « Le nègre le vrai papa du juif, qu’a un membre encore bien plus gros, qu’est le seul qui s’impose en fin de compte, tout au bout des décadences. Y a qu’à voir un peu nos mignonnes, comment qu’elles se tiennent, qu’elles passent déjà du youtre au nègre, mutines, coquines, averties d’ondes… » (Les Beaux Draps, 1941). De quoi apporter de l’eau au moulin, non pas de Freud, mais de Groddeck (Das Zwiegeschlecht des Mensche, 1931) et, avant lui, de Ferenczi (Psychanalyse de la vie sexuelle, 1924). Pour ces deux savants docteurs de la chose, l’incirconcis semble convaincu d’une mystérieuse supériorité des circoncis dans leurs relations avec les femmes, supériorité qu’il doit, par association, mettre en rapport avec la « petite différence », c’est-à-dire avec le prépuce en moins.

LE ROUGE ET LE BRUN

Cet antisémitisme viscéral le conduit aussi, comme tant d’autres, à un anti-capitalisme primaire, lui-même nourri d’une incompréhension abyssale des ressorts de l’économie de marché, qui, hélas, a encore de beaux jours devant elle dans la France d’aujourd’hui.

Au moment où s’annonce la défaite définitive de l’Allemagne nazie (1945), Rebatet suit en effet la même évolution paradoxale qu’un Drieu La Rochelle : il en vient à prôner un « communisme fasciste », à considérer que le fascisme est « une étape vers le communisme » – opérant une sorte de transfert de ses désirs révolutionnaires sur l’URSS, préférant vivre « rouge » que mourir démocrate : Tout plutôt qu’une victoire du capitalisme américain ! Ce qui nous vaut cette formule superbe de Belot : « le rouge est la couleur qui se marie le mieux avec le brun ». Une illustration du cousinage profond des deux totalitarismes du 20ème siècle que l’on a trop souvent nié.

Philippe Simonnot

P. S. : Hollande vient de déclarer aux Invalides que les djihadistes «renient le message de leur livre sacré ». A croire qu’il n’a jamais lu ni le Coran ni la vie du Prophète. Pauvre de nous !

> Philippe Simonnot est un économiste libertarien. Ses derniers livres sont Le Rose et le Brun, Quel a été le rôle des homosexuels dans la montée du nazisme au pouvoir, Ed. Dualpha, et Hitlérisme français, 1, L’engrenage, Kindle.

Notes :

1. Robert Belot, Lucien Rebatet, Le fascisme comme contre-culture, Presses Universitaires de Rennes, 2015
2. Le Dossier Rebatet – Les Décombres – L’inédit De Clairvaux, Edition établie et annotée par Bénédicte Vergez-Chaignon, Préface de Pascal Ory. Collection Bouquins. Robert Laffont, 2015.
3. Rebatet Lucien/Pierre-Antoine Cousteau (1999), Dialogue de « vaincus » (prison de Clairvaux, janvier-décembre 1950), texte inédit présenté et annoté par Robert Belot. Berg International Editeurs. 1999

Related Articles

6 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • A , 28 novembre 2015 @ 12 h 06 min

    Article d’une rare sottise… Dommage de lire ça sur NDF.

  • jsg , 28 novembre 2015 @ 16 h 16 min

    Il y a aussi “une histoire de la musique” de Rebatet, qui vaut la lecture.
    Quand on parle de lui, les crétins tordent le nez (surtout ceux qui n’étaient pas nés, les pauvres ….).

  • centurion41 , 28 novembre 2015 @ 17 h 27 min

    cette histoire de la musique est en tous points remarquable!

  • Guy Fawkes , 29 novembre 2015 @ 12 h 50 min

    Rebatet fut l’un de nos écrivains les plus étincelants de génie et de style, son oeuvre est capitale.
    Seul (énorme) regret personnel : son anti-christianisme que je trouve primaire et borné, voir bébête tant ses arguments/griefs sont sont aujourd’hui souvent utilisés par les “neo-païens” (rires) qui d’ailleurs n’ont pas la moindre idée de ce que fut leur propre religion, dont les dieux amoraux et vicieux exigeaient sacrifices humains et pratiquaient l’homosexualité, le vol, le viol, etc..
    Un Rebatet chrétien, catholique, eut donné à la France une oeuvre d’une portée bien plus grande, sublime, cosmique, et ce sans pour autant avoir à renier le fascisme en lui-même, à l’image de fameux chrétiens fascistes comme Codreanu, chef de la Garde de Fer roumaine pro-nazis, à l’image des Oustachis croates (et même de certains Tchetniks serbes), à l’image des tsaristes orthodoxes russes qui voulaient en se ralliant à Hitler libérer la Russie des rouges justement, etc etc..
    Bref, et donc quit à rester maudit ds cette France actuelle pourrie et corrompue jusqu’à l’os, pour qui c’eut été encore bien trop “facho”, il aurait ainsi soutenu activement la Révolution Nationale de Pétain sans critiquer sa résistance discrète/”secrète” à Hitler, laquelle Révolution se proposait de remettre la France sur ses rails idéologiques et fondamentaux pre-républicains, authentiquement catholiques, anti-maçonniques, libérés de certaines influences néfastes (aujourd’hui au pouvoir ds tout l’occident) sans pour autant persécuter les individus en soi (du moins si l’Allemagne n’avait pas exigée quelques livraisons), et dont la réussite aurait par exemple permis à la France, outre de se relever enfin tout en sortant tout aussi “victorieuse” de la 2cde guerre mondiale (Pétain avait des contacts quotidiens avec l’armée américaine et planifiait déjà avec elle le débarquement), de ne jamais connaître ce passage immonde de l’épuration, qui la laissa à jamais horriblement défigurée, et amputée de sa droite réelle/originelle, anti-libérale et catholique.
    Désolé pour la (longue) extrapolation..

  • Psyché , 29 novembre 2015 @ 20 h 48 min

    Goût du sang assurément, stratégie de la tension certainement !

    http://www.lelibrepenseur.org/chronologie-des-attentats-hasard-ou-strategie-de-la-tension/

  • Psyché , 29 novembre 2015 @ 21 h 19 min

    pour la mise en esclavage des peuples !

    https://www.youtube.com/watch?time_continue=714&v=n3etHTh2WPg

Comments are closed.