La Grèce : naissance et mort de la démocratie

La démocratie est née en Grèce. Elle risque bien d’y mourir aussi. Les Grecs de l’antiquité ont inventé la politique et les trois concepts dont on s’est servi pendant longtemps pour désigner les différents régimes : monarchie, aristocratie, démocratie. Ce dernier mot correspondait aux cités où la majorité du peuple détenait le pouvoir. Bien sûr, ni les femmes, ni les enfants, ni les esclaves, ni a fortiori les étrangers ne constituaient ce peuple de citoyens mâles et adultes. Le mot est demeuré pour appeler les démocraties modernes dont le périmètre s’est élargi autour du même principe. On peut remarquer toutefois que dans les discours politiciens le terme, latin, de république a pris l’avantage. La démocratie libérale s’opposait au totalitarisme. Les peuples du monde libre qui pouvaient librement choisir leurs dirigeants résistaient aux dictatures communistes qui avaient le toupet de se qualifier de démocraties populaires. Aujourd’hui, la République est invoquée pour souligner que nos sociétés reposent sur des « valeurs » plus que sur la volonté populaire. Cette préférence n’est pas innocente. Elle a pour but de disqualifier des idées qui, même soutenues par une majorité du peuple, ne seraient pas compatibles avec les valeurs républicaines. Qu’une démocratie libérale soit nécessairement un Etat de droit est une évidence. Mais aujourd’hui la « dérive républicaine » est préoccupante. Elle apparaît clairement dans l’emploi systématiquement péjoratif du mot « populisme ». La république qu’on proclame se méfie manifestement du peuple.

C’est encore un mot grec qui apporte la solution. Le pouvoir dans nos démocraties est confisqué par des oligarchies, par le gouvernement de quelques-uns, qui ne sont pas forcément les meilleurs (Aristoi ). Le vote grec en faveur de Syriza illustre cette évolution. Ce parti d’extrême-gauche a pu former un gouvernement en s’alliant avec une formation bien à droite, les Grecs Indépendants. 149 députés du premier avec les 13 de la seconde dépassent la barre de la moitié du Parlement de 300 membres. Cette majorité ne représente pas celle des électeurs puisqu’elle repose essentiellement sur le bonus de 50 élus pour le parti arrivé en tête. Syriza a obtenu 36,34 % des voix et son allié, 4,75%. Ce système vise à permettre, comme le nôtre avec ses deux tours par circonscription ou plus brutalement le mode électoral britannique avec son tour unique, à définir des majorités de gouvernement et à éviter les blocages et les compromis des élections proportionnelles où le plus petit allié est tellement nécessaire qu’il finit à peser plus lourd que le groupe le plus important. Il faut cependant être très distrait pour ne pas observer qu’à peu près partout en Europe, le système se grippe. De la salade belge à l’alliance des Conservateurs et des Libéraux-démocrates britanniques en passant par la grande coalition allemande, les majorités ont tendance à n’être que des compromis pour se maintenir au pouvoir plutôt que l’expression d’une volonté populaire pour réaliser un programme. Même ceux qui, malgré tout, ont commencé par affirmer une ligne d’action claire, comme les Conservateurs au Royaume-Uni, pour l’économie du moins, commencent à regarder avec inquiétude la montée d’un mouvement alternatif, l’UKIP, en l’occurrence. Les partis qui ont exercé le pouvoir, depuis très longtemps parfois, cherchent à tout prix à le garder. Et les peuples témoignent de leurs désillusions et de l’incertitude dans laquelle ils sont jetés, en s’abstenant ou en votant pour des mouvements alternatifs qui suscitent suffisamment de peur, entretenue par les médias, pour ne pas bénéficier de raz-de-marée.

Le vote grec est une exception… et une grande illusion. A première vue, les électeurs sont parvenus enfin à briser le statu quo. Ils ont permis aux alternatifs de prendre la direction du pays. D’où l’enthousiasme des partis souverainistes, de gauche comme de droite, d’un bout à l’autre du continent. Alternatifs de l’Europe entière, unissez-vous ! Cette victoire apparente de la démocratie est un double succès : d’abord contre l’oligarchie Pasok-Nouvelle Démocratie qui avait monopolisé le pouvoir depuis la chute des colonels, au sein d’un système marqué par l’incompétence, les privilèges et la corruption ; ensuite contre la « nomenclature » européenne, ses technocrates et ses fonctionnaires, ses « commissaires » non élus et ses élus inconnus. Les Grecs ont voulu, avec une grande ingénuité, prétendre qu’un peuple était maître chez lui, qu’il n’avait pas à souffrir au-delà du nécessaire pour contenter la Troïka CE-BCE-FMI, et encore moins la puissante Allemagne, qui s’est déjà trop occupée d’eux dans le passé.

L’ennui, c’est que les Grecs ont abandonné leur souveraineté et ne semblent pas s’en rendre compte. Ils pensent naïvement que l’Union Européenne va accepter le vote du peuple grec, et ses conséquences, le gel du remboursement de la dette et des mesures d’austérité avec, au contraire, le recrutement massif de fonctionnaires. Or, ce sont les autres pays, l’Allemagne en particulier, qui sont les principaux créanciers de la Grèce. On imagine mal le gouvernement allemand faire preuve de trop de mansuétude à l’égard d’un pays qui, aux yeux du peuple allemand, est tricheur, corrompu et paresseux. Or le poids de l’Allemagne est beaucoup plus lourd que celui de la Grèce. Pour l’oligarchie bruxelloise, il faudra donc trouver un compromis qui évite deux écueils : le premier est, qu’Athènes quittant l’Europe, la construction fédérale ne soit compromise ; le second est que la générosité à l’égard du nouveau gouvernement n’entraîne le succès de partis frères comme Podemos en Espagne. Compromis ou rupture, le peuple grec et la démocratie ont déjà perdu. Dans le premier cas, le programme de fin de l’austérité, ne sera pas réalisé, mais M. Tsipras se maintiendra au pouvoir en se révélant un politicien comme les autres. Dans le second, la sortie de l’Euro brutale et solitaire, la défaillance du pays feront subir à la Grèce une punition dont l’austérité n’aura été que le hors d’oeuvre inutile et indigeste. Dans les deux cas, l’illusion démocratique européenne se sera dissipée.

Related Articles

20 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • Tonio , 30 janvier 2015 @ 16 h 25 min

    @Marino
    Au risque, mais je le prends, d’ébranler quelques certitudes de l’ami Marino, j’ajoute mon grain de sel à sa plaidoirie pro domo.
    Naturellement qu’en se cantonnant sur un segment bien choisi de l’Histoire on se dit : “Vrai, tout est de la faute aux Allemands.” Ouf!
    Mais en remontant un peu, oh! pas plus haut que les Traités de Westphalie, on doit bien se convaincre qu’à partir du moment où ils accordaient toute prépondérance européenne a la France, Louis XIV n’allait pas laisser passer ça: ça n’a pas manqué, depuis, et jusqu’en 1816, quasi toutes le guerres européennes ont été déclenchées à l’instigation de la France; et je ne vous dis pas les horreurs vécues encore après la Guerre de Trente ans par l’Allemagne dévastée et qui n’en pouvait plus: destructions, pillages, massacres, violences en tout genre, sans compter l’agression sans avertissement du Palatinat par Louis le grand et la mainmise sur Strasbourg, ville d’Empire, par le même!
    Demandez aux habitants du Palatinat, de la Saxe ou de Thuringe combien de fois ils vu passer et repasser la soldatesque française dans tous les sens, vous serez édifié, je vous le garantis!
    Alors ouvrez l’oeil, mais le bon, quand vous avez décidé de vous en prendre aux Allemands; ils ont une dette deux fois pire que la France, mais ils ont accepté de diminuer leurs salaires pour conserver l’appareil industriel intact au moment d’une vraie reprise; ce que les Français ne peuvent concevoir ( ..et les Grecs moins encore) tant ils sont persuadés, malgré nombre d’échecs, d’avoir raison quand même contre le monde entier qui les envie…
    Memento: Renan disait en 1850: “Le grand avantage des socialistes c’est qu’ils ne se corrigent jamais de leurs erreurs.” Ont-ils beaucoup changé en 260 années ?

  • Tonio , 30 janvier 2015 @ 17 h 53 min

    .. et les Français en mourront.. comme les Grecs!

  • flammande , 30 janvier 2015 @ 17 h 54 min

    Il me semble que le problème est mal posé ! Il n’est pas question de la mort de la démocratie…
    Il s’agit plutôt de la mort des souverainetés… Dans nos démocraties sous U.E., le Peuple n’aura plus jamais, jamais raison… Les Peuples ont transféré leurs pouvoirs de décider et leurs souveraineté aux oligarques de Bruxelles… Qu’ils soient ou non gros débiteurs… R I P !

  • Alex , 30 janvier 2015 @ 18 h 47 min

    @Tonio :

    A ma connaissance la proportionnelle intégrale n’existait pas sous la 4ème république, ni même sous la 3ème, ni même jamais dans l’histoire de la république française (sauf pour une seule élection sous Mitterand, ce qui avait pour but de mettre le FN en porte à faux du RPR et de l’UDF).

    Je ne suis pas historien mais il me semble que c’est une erreur de revenir ainsi sur l’histoire alors que les conditions ne sont pas les mêmes aujourd’hui et il me semble bien que la proportionnelle intégrale de la 4ème république n’est qu’un mythe colporté par Zemmour et l’Education Nationale, dans le but de maintenir la féodalité républicaine au pouvoir.

    L’alliance entre l’UMP et le FN ne serait pas une solution, puisque le FN et l’UMP sont tous les deux des partis obsolètes et dangereux.

    La moitié des centrales atomiques françaises sont sur le point d’exploser à cause du grand age des réacteurs, mais au détriment des science on porte leur durée de vie à 60 ans !

    Au détriment des sciences on entreprend de stocker les déchets atomique en profondeur, alors que cela induit des explosions, comme le démontre l’explosion du centre de stockage de plutonium du Nouveau Mexique au USA, avec une contamination désormais éternelle de cet Etat.

    Le programme ITER financé pour 15 milliards d’euros, ne marchera pas, comme le démontrent tous les physiciens du monde, aux USA, ou même Jean Pierre Petit en France.

    Donc, toutes les sciences françaises sont non seulement obsolètes, mais elles présentent donc un risque de contamination éternelle du pays à la radioactivité.

    Je rappel que Tchernobyl continu de tuer, y compris en France et que la radioactivité est une contamination éternelle à l’échelle de l’Homme.

    Ensuite, il y a l’effacement des comptes bancaires, qui pourrait déjà être inéluctable, à cause de la politique monétaire et d’endettement menée par le FN, l’UMP et le PS.

    Puis, il y a la question du mariage homosexuel, de la circoncision sans raison médicale ou du changement de sexe opéré sur des personnes qui ont des troubles psychiatriques…
    Le PS, l’UMP et le FN sont la cause de cette dérive barbare.

    Ensuite, vient la question de la démographie, car au FN ou à l’UMP personne ne semble avoir compris qu’en Ile-de-France c’est 80% des naissances et très bientôt 92% des naissances, qui sont le fait de populations issues de l’immigration africaine (chiffres de la drépanocytose notamment).

    Pourtant, l’UMP et le FN ne remettent pas en question la cause de cette démographie, à savoir les allocations familiales, sans lesquelles cette démographie allogène serait divisée par 3.

    Donc, concrètement, l’alliance entre le FN et l’UMP, est une foutaise de plus pour les robots humains et dans l’urgence la proportionnelle intégrale doit permettre de liquider tout à la fois le PS, le MODEM, l’UMP et le FN, pour les remplacer par tous les partis et mouvements de la révolution de la société de la connaissance…

    J’oubliais enfin la question astrophysique… et in fine la question extraterrestre appliquée à notre géopolitique, alors qu’aux USA et en Russie ils tentent de développer la technologie du voyage interstellaire… ce que le PS, l’UMP et le FN, ne peuvent pas comprendre, puisque comme les tribus aborigènes, ils ont des milliers d’années de retard d’évolution sur la compréhension de l’univers comparativement à ceux qui organisent les discrets programmes des USA et de Russie.

  • Alex , 30 janvier 2015 @ 18 h 49 min

    @Scaletrans :

    Je l’ai déjà démontré dans les commentaires de ce site et je vous invite à étudier les analyses de Charles Gave par exemple, pour comprendre les mécanismes par lesquels l’Allemagne est bien la première victime de l’euro.

    La propagande française qui vante le succès allemand, n’est qu’un obscurantisme identique à celui par lequel on ventait le succès de l’Argentine ou de l’URSS.

  • charles-de , 10 février 2015 @ 15 h 11 min

    Hum, Tonio : 1850 + 260, ça fait … 2110 !

Comments are closed.