Au bord du précipice

De nombreux observateurs s’étonnent de ce que, malgré le fait que la Federal Reserve américaine et notre BCE aient injecté des montagnes de dollars et d’euros dans nos économies, l’inflation reste modérée à 3-4% aux États-Unis et à 2-3% en France.

Un bref rappel des faits s’impose : au 21 mars 2012 le total du bilan de la Fed, par exemple, atteignait 2 895 millions de dollars contre 924 milliards au 10 septembre 2008 ; soit une multiplication par 3,13 (+213%) en 3 ans et demi. Autrement dit, la banque centrale des États-Unis a émis trois fois plus de dollars au cours des 42 derniers mois qu’elle n’en avait émis entre sa création en 1913 et la faillite de Lehman Brothers en septembre 2008. Par quel miracle, donc, ne subissons-nous pas une hyperinflation digne d’un Robert Mugabe [1] ?

Il s’en trouve, bien sûr, qui s’imaginent naïvement que les planificateurs monétaires ont enfin découvert la pierre philosophale – où comment user et abuser de la planche à billet sans impacter la valeur de la monnaie. Formidable nouvelle ! Rendez-vous compte : nous pourrions donc financer toutes les dépenses publiques possibles et imaginables, distribuer des billets de banque à quiconque le demande et résorber enfin l’endettement de nos États-providence sans que cela n’est le moindre impact pour personne. Laissons-les à leurs doux rêves alchimiques et souhaitons leur un réveil aussi peu brutal que possible.

Plus intéressantes sont les analyses de ceux, comme le toujours excellent Vincent Benard (voir Fed, BCE : L’inflation qu’on voit et celle qu’on ne voit pas, Contrepoints le 29 mars 2012), qui nous expliquent les failles des instruments de mesure de l’inflation – les indices des prix à la consommation et autres Consumer Price Index – et démontrent, chiffres à l’appui, que les chiffres officiels sont certainement sous-estimés [2]. Néanmoins, je crains que nous ne passions là à coté de l’essentiel.

Explication en un graphique.

Ci-dessous, en bleue, la masse monétaire M2 telle qu’elle est effectivement mesurée par la Federal Reserve chaque mercredi (en milliards de dollars, échelle logarithmique). En rouge, la « masse monétaire potentielle » calculée par mes soins ; c’est-à-dire la base monétaire (M0) démultipliée par un multiplicateur de 8,3 (ce qui correspond à un ratio de réserve de l’ordre de 12% [3]).

En d’autres termes, si l’on utilise M2 comme étalon de la masse monétaire, son rythme de croissance n’a pour ainsi dire pas changé d’un iota alors que la Fed déversait des milliers de milliards de dollars dans l’économie américaine. Comme si rien ne s’était passé. En revanche, si le multiplicateur M2/M0 devait revenir à ces niveaux de la période 1995-2005, nous assisterions à un doublement de M2 (+122,61% au 21 mars 2012). Où est l’argent ?

Là encore, en un graphique : les réserves excédentaires des banques américaines – qui sont, comme vous le savez, désormais rémunérées – exprimées en pourcentage de la base monétaire.

Est-ce assez clair ?

L’argent n’a jamais quitté la Fed. Il est aujourd’hui stocké par les banques sous forme de réserves excédentaires : sur les 1 971 milliards de dollars imprimés par la Fed depuis septembre 2008, plus de 76% (1 506 milliards) n’ont jamais circulé dans l’économie. Mais lorsque la croissance se stabilisera, lorsque les entreprises se remettront en quête de financement, quand les banques se remettront à prêter, cet argent circulera et nous allons le sentir passer.

Bonne chance à tous et à toutes…


[1] En novembre 2008, le dollar Zimbabwéen subissait une inflation de 98,01% par jour ; c’est-à-dire que les prix doublaient toutes les 25 heures environ.
[2] Comment pourrait-il en être autrement lorsqu’un même État monopolise la mesure officielle de l’inflation et émet des obligations dont le taux est indexé sur cette même mesure ?
[3] Il ne s’agit pas du véritable ratio de réserves obligatoires en vigueur aux États-Unis (qui est de 10%) mais d’un chiffre purement empirique qui correspond à la valeur moyenne du ratio M0/M2 de 1995 à 2005.

> le blog de Georges Kaplan

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1 Comment

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  • Charles , 30 mars 2012 @ 8 h 41 min

    La situation est un peu plus compliquée que ne le pense votre auteur en reference.
    J’ai eu l’occasion de mener des recherches sur le sujet par le passé recent.

    1.Le probleme de la masse monetaire “abusive” est similaire a la situation d’une flotte de camions geants de 150 tonnes (au lieu de 30/40 tonnes) qui sont tellement “gros”
    qu’ils ne peuvent plus quitter les autoroutes sur lesquelles ils roulent.

    Ils ne peuvent pas prendre les bretelles de sorties du fait de leur sur-dimension.
    la seule solution consistant a faire demi tour par le terre-plein central….

    En pratique,quand vous disposez d’une somme de 10 Milliards € ou $ à placer ou investir,
    l’opération n’est pas aussi simple que vous pourriez le penser.
    Quand vous disposez de 100Milliards€,c’est encore pire.
    En clair,vous ne pouvez pas investir dans l’immobilier des sommes pareils pour plusieurs raisons.
    Egalement,investir dans le rachat d’une entreprise est complexe ,ne connaissant pas l’activité.
    Donc,pour ces raisons paradoxales,au delà d’un certain niveau de “creation monetaire” la dite creation ne pas declenche pas d’inflation sur les produits de consommation,
    puisque ces produits sont “hors champ” .

    2.Le nouvel effet d’elasticité “numerique” de la masse marchande.

    cet effet est entierement nouveau car apparu recemment sur le marché des biens de consommation durables avec un effet sur les produits courts (services et alimentation/vetements).
    A savoir l’economie/industrie numeriques ne cessent de sortir des produits de plus en plus techniques qui cannibalisent les produits anciens (6 mois d’age)
    avec des robots qui fabriquent des robots qui eux memes fabriquent des robots,en CONTINU.

    Exemple,:Les nouvelle tablettes (tactiles, couleur et haute definition) poussent
    hors des presentoirs les produits vieux qui sont bradés avant d’etre “jetés” parce que “obsoletes”.
    les prix donc sont poussés a la baisse a la fois sur les produits numeriques anciens
    mais les produits non numeriques sont egalement “touchés”.
    Pour cette simple raison que le consommateur dispose d’un budget mensuel limité
    et quasiment fixe.Donc,sa marge de choix est limité en terme de decisions d’achats.

    Si vous lui presentez une nouvelle imprimante scanner ou une nouvelle camera video a 60€ (comparée au prix ancien de 150€)vous posez au consommateur un probleme d’arbritage ;

    Pour le prix d’un bon repas a deux,il peut acheter un bien durable offrant des gains de productivité importants.la solutio raisonnabke devient alors de depalacer la depense restaurant
    vers la depense investissement.

    Le restaurateur qui veut survivre et maintenir son volume minimum
    doit alors ajuster ses prix a la baisse,quitte a en modifier le contenu.
    ceci est encore une raison qui explique la non inflation.

    3.il existe d’autres facteurs tels que la mondialisation sauvage et le dumping monetaire.
    Conclusion;
    La creation monetaire effarante des EUA par la Fed a servi de ligne a oxygene
    pour l’economie mondiale alors que la BCE pratiquait une politique monetaire vertueuse,
    qui se revele stupide puisque les marchés sont interconnectés.
    les dollars créés provoquent la creation d’euros sur le marché des changes…..

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