Les libéraux et la «liberté» de l’inceste

Tribune libre de Roman Bernard*

La republication de mon article « Sexe : de la “libération” à l’addiction » a suscité une intéressante discussion en commentaires, que je tiens à prolonger dans le présent article.Vers la fin, je m’interrogeais :

« Chloé est majeure et donc juridiquement responsable de ses actes, mais seul un doctrinaire, un sadique ou un inconscient pourrait affirmer qu’elle est “libre” de ses non-choix, et qu’elle n’a donc à s’en prendre qu’à elle-même si elle a le sentiment, comme le dit le psychanalyste, d’être devenue une “poubelle à sperme”. Il faudrait être singulièrement dogmatique pour prétendre que Chloé, par l’“expérimentation”, va apprendre de ses erreurs et adopter un meilleur comportement à force d’accumuler les humiliations. À partir de combien de “coups d’un soir” les fanatiques de la “liberté ” pensent-ils que Chloé se sera responsabilisée ? »

Au cas où ce n’aurait pas été clair, ce sont bien entendu les libéraux et libertariens que je visais en évoquant les « fanatiques de la “liberté” ». Certes, j’ai été leur « compagnon de route », grosso modo entre 2008 et 2011, année du clash raconté dans cette nouvelle.

Et avant qu’on me pose la question, oui, il y a bien « quelque chose de personnel » dans mon rejet du libéralisme. Car le type de personne qu’attire une doctrine ou une idéologie est révélateur de la nature de cette doctrine ou de cette idéologie. Les conflits que j’ai eus avec des libéraux en 2011, pour personnels qu’ils fussent, révélaient quelque chose de plus profond. Au cours des trois ou quatre années de mon compagnonnage, les doutes s’étaient accumulés, jusqu’à arriver au point de non-retour.

L’inceste prohibé partout, même chez les gorilles

Il est toujours artificiel de parler d’une « goutte d’eau », mais je crois que la question de l’inceste et de sa prohibition a joué un rôle important. L’inceste est l’un des tabous fondamentaux de la civilisation, avec, entre autres, la coprophagie ou le cannibalisme. Il dépasse même le genre humain, puisque sa prohibition existe également chez certains grands singes. Chez les gorilles, les filles du mâle alpha doivent partir en quête d’un nouveau mâle, afin d’éviter toute relation sexuelle avec leur père. L’inceste était certes pratiqué par les Pharaons d’Égypte, mais cet écart par rapport à la norme soulignait justement la divinité de Pharaon. Ses sujets étaient, eux, soumis à ce tabou primordial.

Je ne fais pas de procès d’intention aux libéraux en parlant de leur refus de la prohibition de l’inceste. L’un d’eux, Sean Gabb, un Britannique, l’a récemment écrit dans des termes sans ambiguïté, au détour d’un article consacré pour le reste au mariage gay :

If two consenting adults want to live together in close union and can find a consenting minister of religion to bless their union, who are we to object? The same applies to polygamy, polyandry, incest, or any other kind of union between consenting adults.

(Si deux adultes consentants veulent s’unir l’un à l’autre et trouvent un prêtre volontaire pour bénir leur union, qui sommes-nous pour nous y opposer ? Il en va de même pour la polygamie, la polyandrie, l’inceste, ou toute autre forme d’union entre adultes consentants.)

Et cela va bien au-delà de la théorie, pour descendre au niveau de la pratique. Il y a quelque temps, on apprenait qu’à Tampa, Floride, une mère et sa fille avaient décidé de tourner ensemble dans un film porno. Rien d’illégal ni de contraire au principe libéral de consentement entre individus responsables, puisque la fille est majeure. Il n’y a donc, dans la doctrine libérale autant que dans la loi, aucun garde-fou à ce qu’une mère et sa fille participent ensemble à une activité sexuelle, vu que leur inceste est ici indirect.

Le libéralisme, une doctrine incomplète

Je suis certain que la plupart des libéraux trouveront qu’effectivement, cela est choquant et doit être interdit (les autres sont des morts-vivants, ou des porcs, au choix). La question est plutôt : dans quel principe de la doctrine libérale trouveront-ils la justification à la prohibition de l’inceste dès lors que l’enfant est responsable de ses actes ?

Ils n’en trouveront tout simplement pas, puisque la pensée libérale a été élaborée, de John Locke à Friedrich Hayek, dans une Europe chrétienne, où la prohibition de l’inceste allait de soi, comme la nécessité de s’emplir les poumons d’air pour vivre. Nous sommes à présent dans une société déchristianisée, où les seules normes sont fixées par le législateur. Si ce dernier n’interdit pas à une mère et une fille de jouer ensemble dans un porno, alors rien ne peut les en empêcher. Et si le mari de la première et le père de la seconde faisait ce qu’un homme doit faire en pareille circonstance, c’est-à-dire empêcher, de gré ou de force, sa femme et sa fille de tourner dans ce porno, c’est lui qui serait coupable aux yeux de la loi. S’il levait la main sur son épouse et sa fille, il pourrait même aller en prison, alors que son acte serait justifié au regard de la morale.

Maintenant qu’il n’y a plus d’Églises, catholique ou protestantes, pour imposer la prohibition de l’inceste, et que le législateur est trop occupé à promouvoir des formes déviantes de sexualité pour se consacrer à cette nécessaire prohibition effective, il n’y a donc plus de moyen d’empêcher cette mère et cette fille de se vautrer dans le déshonneur. Et si la foule, en accord avec la morale autant qu’avec la nature, décidait de se munir de pelles et de fourches pour empêcher, sous la menace, que cela arrive, les principes du libéralisme protégeraient les deux femmes indignes : en effet, en vertu du principe de non-agression, aucun individu ne peut en empêcher un autre de faire ce qu’il veut, la réciprocité de ce principe étant censée garantir le bon fonctionnement de la société. Il y a même fort à parier que les libéraux se mettraient, ironiquement, du côté de l’État qu’ils disent tant haïr (sauf quand il s’agit de travailler pour des entreprises qui vivent pour l’essentiel des marchés publics…) pour empêcher toute « coercition ».

Inceste et détérioration génétique

En réalité, l’inceste, lorsqu’il donne lieu à la procréation (comme c’est arrivé en France, récemment), propage les maladies génétiques, et conduit donc au dysgénisme, c’est-à-dire à l’appauvrissement du pool génétique de la population. C’est un domaine parmi d’autres dans lequel l’individualisme radical du libéralisme révèle les lacunes de cette doctrine. Un individu n’est pas que le fils de ses deux parents. Il est aussi le petit-fils de ses quatre grands-parents, l’arrière-petit-fils de ses huit arrière-grands-parents, et ainsi de suite. Dans une population relativement homogène, tous les individus sont cousins.

Toute naissance issue d’une relation incestueuse polluera donc le pool génétique de la population, qui est un bien commun, et non individuel. Beaucoup de libéraux se croient rationalistes et évolutionnistes, mais l’inceste va précisément à l’encontre de l’évolution, ce qui explique pourquoi il a été prohibé universellement dans des cultures qui n’ont été en contact qu’à l’ère moderne, ainsi que chez certains spécimens évolués de singes.

Les libéraux conscients que la doctrine qu’ils professent est incomplète gagneront soit à l’abjurer, soit à la compléter (mais s’il est possible d’empêcher deux individus responsables de faire ce qu’ils veulent de leur corps, que restera-t-il du libéralisme ?). Les autres continueront à la professer sans l’amender, et devront donc, au nom de la défense de la civilisation qui est la nôtre, être tenus pour ce qu’ils sont : des ennemis.

*Roman Bernard est l’ancien rédacteur en chef du Cri du contribuable. Il anime le blog Criticus. Vous pouvez retrouvez ses contributions aux Nouvelles de France ici.

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94 Comments

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  • Tintin , 29 mars 2013 @ 23 h 31 min

    Dans une société chrétienne, interdire l’inceste, c’est comme interdire le suicide, cela ne sert à rien, car la question est donc mal posée.

    Voilà pourquoi avec le principe de subsidiarité (souveraineté communes et provinces) et le Sénat royal, dans la démocratie directe, les territoires chrétiens du pays doivent avoir une législation dissemblable sur ce point, de celle à appliquer dans les territoires pas encore christianisés.

    Dans les territoires sans Christ, ni morale indépendante de Christ, la loi doit prohiber l’inceste, mais dans les territoires chrétiens, ils faut légiférer et traiter cela comme les actes de suicide.

  • Tintin , 29 mars 2013 @ 23 h 35 min

    Ps :

    +1 pour l’analyse sur le libéralisme actuel, totalement dévoyé de son propos d’origine.

    Vous semblez évoquer finalement la franc-maçonnerie ?

    Pouvez-vous nous en dire plus sur ce point ?

  • Roman Bernard , 29 mars 2013 @ 23 h 36 min

    Où ai-je évoqué la franc-maçonnerie ?

  • Tintin , 29 mars 2013 @ 23 h 40 min

    @Lucas HT :

    Cette théorie suppose la perfection du darwinisme.

    Et la théorie hyperthélique ?

    Soit, une espèce vivante qui disparait d’elle-même, indépendamment du darwinisme, à cause d’elle-même.

    Enfin, il y a l’épigénétique.

    Le patrimoine génétique de l’Homme évolue tout au long de la vie, en fonction de la vie qu’on mène.

    Une civilisation incestueuse modifiera donc son patrimoine génétique et c’est donc un patrimoine génétique erronée qui sera transmis, même lorsque la procréation sera réalisée en dehors d’une relation incestueuse.

  • Tintin , 29 mars 2013 @ 23 h 42 min

    Vous ne l’évoquez pas justement.

    La doctrine des libéraux que vous accusez, n’est-elle pas d’obédience maçonnique ?

  • Tintin , 29 mars 2013 @ 23 h 47 min

    @Romand Bernard :

    Tout cela est vraiment passionnant, votre article comme les contradictions dans les commentaires.

    Plus que l’interdiction, ce qu’il ne faut pas perdre, c’est le sentiment de honte.

    La honte est moins couteuse et plus efficace que la prohibition.

    Un libéral économique doit donc défendre la prohibition de l’inceste par le sentiment de honte, inspiré dès l’enfance pour ce type de pratiques.

  • Roman Bernard , 29 mars 2013 @ 23 h 47 min

    À l’origine, si. Beaucoup de libéraux étaient des francs-maçons (La Fayette, par exemple, mais il y en avait bien d’autres), et beaucoup de francs-maçons étaient libéraux.

    La franc-maçonnerie a évolué vers le socialisme, et cela révèle le destin du libéralisme, qui est le socialisme.

    James Burnham en avait parlé mieux que quiconque dans son essai Suicide of the West (1964) :

    « Un changement assez radical et très important que le libéralisme moderne a réalisé par rapport à ce qui était appelé « libéralisme » au XIXe siècle est bien connu et a souvent été commenté. Les économistes, moralistes et philosophes libéraux tendaient vers une doctrine du laissez-faire qui fixait des limites strictes au champ du gouvernement.

    […]

    Le libéralisme classique croyait, ainsi, en un État limité. En particulier, les tâches positives et « essentielles » attribuées au gouvernement étaient très peu nombreuses : en plus de la défense contre les agressions étrangères et la violence intérieure, peut-être la fourniture d’un petit nombre de services publics fondamentaux. Pour le reste, les devoirs du gouvernement définis par le libéralisme classique étaient largement négatifs : empêcher les types de pratiques frauduleuses, coercitives ou monopolistiques qui bloquaient l’exercice des libertés civiques et le fonctionnement du libre marché. Même en matière de droits et de libertés civiques, la fonction du gouvernement était conçue comme étant négative : il ne s’agissait pas de prodiguer ou d’assurer la jouissance des libertés essentielles, encore moins de créer celles-ci, mais simplement d’empêcher une interférence coercitive avec leur jouissance pour des citoyens qui choisiraient d’en faire usage.

    Le libéralisme moderne a évolué vers une croyance à des degrés divers en ce qui pourrait être appelé de façon appropriée, dans un sens général, l’étatisme. Il a une attitude toujours critique et parfois complètement négative à l’égard de l’entreprise privée.

    […] Les libéraux acceptent et promeuvent la multiplication des activités essentielles du gouvernement dans à peu près tous les domaines de la société, un large interventionnisme de l’État dans l’économie, et au moins quelques mesures de nationalisation et de prestation de services publics. Le libéralisme moderne insiste à dire que l’intrusion du gouvernement dans à peu près toutes les étapes de la vie sociale à part la religion facilite davantage qu’elle n’entrave la réalisation de la bonne vie et de la bonne société.

    Il est évident qu’en changeant ainsi, en fait en inversant presque la doctrine héritée du libéralisme classique de la relation entre l’État et la société, le libéralisme moderne a absorbé une part importante de l’idéologie socialiste. Le libéralisme ne partage pas, c’est vrai, l’ensemble des revendications du socialisme marxiste orthodoxe : pour la nationalisation de tous les principaux moyens de production, de transport et de distribution ; et nous avons noté que les partis socialistes non-communistes de la plupart des nations occidentales ont également abandonné cette position extrême au cours de la dernière décennie environ. Le mouvement idéologique est allé dans les deux sens : tandis que le libéralisme évoluait vers le socialisme dans sa doctrine de l’État et sa doctrine économique, de même, l’aile réformiste ou démocratique du socialisme traditionnel a évolué vers le libéralisme. Les deux se sont rapprochés à travers le concept de ce qui allait s’appeler l’« État-Providence» ; et, à cet égard, ils se rapprochent aussi d’autres courants issus du radicalisme, du christianisme social et même du conservatisme « moderne », comme il est parfois qualifié. Indubitablement, les libéraux diffèrent beaucoup entre eux dans le degré de leur étatisme. Certains penchent vers Marx, d’autres penchent vers John Maynard Keynes, et il y en a certainement encore quelques-uns qui sont attirés par John Stuart Mill. Mais tous les libéraux modernes s’accordent à dire que le gouvernement a un devoir positif de s’assurer que les citoyens ont un emploi, à manger, des vêtements, un logement, une éducation, des soins de santé, une assurance-maladie, une assurance-chômage, et une retraite ; et que cela devrait être toujours plus abondamment prodigué. En fait, le devoir du gouvernement, de cette façon, si des ressources suffisantes sont à sa disposition, n’est pas seulement dédié à ses propres citoyens, mais à toute l’humanité. Les libéraux américains actuels sont probablement unanimes, par exemple, à accepter une obligation — qui incombe au moins pour une part au gouvernement — d’aider à nourrir et secourir les contrées sous-développées, et de les aider à améliorer leur condition matérielle.

    […]

    Le saut de ce concept de l’État limité à celui de l’État-Providence est grand. En termes affectifs, il signifie une inversion des priorités émotionnelles, avec l’élan vers les réformes sociales, qui avait toujours été présent dans le libéralisme mais qui était formellement au second rang, prenant le pas sur l’élan vers la liberté. Logiquement, ce saut n’a pas été fait sans une bonne part d’acrobaties doctrinales, et même, peut-être, un lumbago. Le fossé a été comblé, de façon précaire, grâce à l’aide de la théorie et la pratique de la démocratie politique.

    Si nous considérons le problème historiquement, nous nous rappellerons que pour les précurseurs libéraux du XVIIIe et du XIXe siècles, « l’État » signifiait un régime non-démocratique dans lequel des forces conservatrices et réactionnaires (selon leur classification dans le lexique libéral) telles que les propriétaires terriens, un monarque héréditaire, l’armée et l’Église pesaient bien plus que leur part numérique. C’était vrai du régime dans son ensemble, et dans une large mesure même des parlements au sein du régime, qui étaient élus selon un mode électoral limité, manipulé, et auxquels étaient accordés, dans tous les cas, seulement des portions du pouvoir. Un tel « État » n’était à l’évidence pas un instrument adéquat pour prodiguer les libertés, les réformes et la prospérité générale que les pré-libéraux espéraient ; en fait, l’intervention active du gouvernement était plutôt vue comme allant, la plupart du temps, dans la direction opposée. Avec l’extension progressive du suffrage universel et le transfert de souveraineté de plus en plus complet vers des assemblées et des dirigeants élus, l’État pouvait être considéré comme changeant sa caractéristique du Mal vers le Bien ou au moins celle d’un ange gardien. L’« État » semblait de plus en plus devoir exprimer, en tout cas plus que les autres institutions, la volonté populaire ou générale. Il n’était plus bizarre, de la part des libéraux, d’exiger de l’État démocratique qu’il fasse le travail du libéralisme. »

    James Burnham, Suicide of the West : An Essay on the Meaning and Destiny of Liberalism (1964), chap. V, « Equality and Welfare », pp/ 89-95.

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