Faire mentir les chiffres

Comme le disait Mark Twain, il y a trois sortes de mensonges : les mensonges, les sacrés mensonges et les statistiques. L’actualité n’a jamais aussi bien illustré ceci que récemment, tant elle balaye onctueusement ces trois sortes de bobards plus ou moins puissants.

Pour le mensonge de base, il suffit simplement d’aller piocher dans la longue litanie des déclarations gouvernementales françaises. Les politiciens, de façon générale, sont des experts en bobards et de ce point de vue, les Français ne sont donc pas en reste. Et comme actuellement, la conjoncture est particulièrement rocailleuse pour les élus et le gouvernement, il était logique que le taux naturel de calembredaines au paragraphe augmente de façon notable.

Et si l’on regarde tout particulièrement le domaine de l’emploi en France, il était inévitable qu’on assiste à de longues et pénibles séances d’orchestre philharmonique de pipeautage. Les années précédentes n’étaient vraiment pas brillantes, mais l’année 2013 puis l’année 2014 se sont montrées particulièrement mauvaises. À cette tendance déjà fort désagréable s’est ajoutée une communication de l’Exécutif parfaitement calamiteuse : non seulement, les chiffres fournis ne sont pas joyeux, mais en plus sont-ils scrutés attentivement, d’autant que tout l’appareil d’État a promis que la situation allait changer… Ce qu’elle ne fit que dans le sens inverse de celui attendu.

Bref : il a fallu pour l’équipe en place redoubler d’inventivité pour se tortiller hors du piège rhétorique et politique dans lequel ils se sont jetés avec la décontraction de ceux qui savent qu’ils n’en auront pas à subir vraiment les conséquences. Et récemment, c’est François Rebsamen qui s’y est collé. Rebsamen, c’est ce sénateur qui n’a jamais rien su faire d’autre qu’afficher une tendre affection pour François Hollande, ce qui lui a valu son poste actuel au Ministère du Travail dans lequel il excelle, justement, à baratiner gentiment le journaliste.

Cette capacité est même surprenante : il y a quelques jours, il explique ainsi se placer un objectif en terme d’emplois pourtant extrêmement modeste (3 millions de chômeurs maximum d’ici 2017), et qui ressemble fort à un aveu d’échec si l’on rappelle qu’un tel nombre de chômeurs est déjà un point haut en France… Objectif sur lequel il revient sans avoir l’air d’y toucher quelques jours plus tard en expliquant qu’à défaut du seuil passé en 2017, on l’attendra sans doute quelques temps plus tard.

En attendant, il débine les statistiques fournies par l’UNEDIC et minimise tant qu’il peut la déconfiture générale de l’emploi en France. Sauf que l’UNEDIC est plutôt fiable en matière de chiffres, et que les comparaisons de Rebsamen entre les taux de chômage calculés par cette institution d’un côté et l’INSEE de l’autre ne tiennent pas compte de leurs modes de calculs différent et qui, si l’on s’en rappelle, amènent malheureusement aux mêmes conclusions, désagréables, que si la France est sur une pente descendante, ce n’est pas celle du chômage mais plutôt de son activité économique…

Mais comme je le disais, tout ceci s’apparente aux petits mensonges habituels d’une classe politique qui a été habituée à ça.

À ces mensonges détendus (et malheureusement sans conséquences pour ceux qui les profèrent), l’actualité ajoute dernièrement les sacrés mensonges, encore plus gros, qu’on impose aux institutions de statistiques au travers d’une redéfinition pour le moins audacieuse du Produit Intérieur Brut (PIB).

Comme vous le savez sans doute, l’établissement de cette mesure est importante pour les États puisque cela leur permet de savoir si le pays est en croissance ou non, ce qui leur permet ensuite de tirer un certain nombre de plans sur la comète à commencer par celui qui consiste à dépenser aussi vite que possible l’argent qu’ils iront ponctionner ensuite. Comme les rentrées fiscales (notamment la TVA) sont très sensibles à la conjoncture économique et qu’il y a une forte corrélation entre la croissance du PIB et celle de la TVA, on comprend que ce chiffre revêt un intérêt bien particulier pour ces entités qui n’existent, finalement, que par l’impôt (etpour l’impôt lorsqu’ils ont atteint leur maturité).

Dernière invention en date : modifier le périmètre de ce qui rentre dans ce calcul de PIB pour y faire figurer les transactions issues des activités illicites comme le travail au noir, la vente de drogue, la prostitution et les activités mafieuses. Et si, pour le moment, la France ne s’est pas encore alignée avec certains pays, l’Italie, en revanche, montre la voie : suite à un nouvel alinéa introduit par Eurostat, les calculs de PIB doivent tenir compte des activités économiques illégales tant que les parties prenantes sont consentantes dans la transaction incorporée au calcul. L’Italie ne fait donc pas preuve d’initiative imaginative parfaitement rocambolesque, mais se contente d’appliquer les textes, trop contente qu’elle est de voir ainsi sa croissance rehaussée de plusieurs points par le commerce dynamique de Cosa Nostra, Calabre ou d’autres.

Et rassurez-vous, si l’Italie semble en avance sur la prise en compte de ce genre d’activités dans ses petits calculs, la France suivra. Certes, l’INSEE se défend de vouloir présenter sur son site un PIB qui tiendrait compte des activités illégales, mais les normes de calculs européennes lui étant aussi imposées, un calcul de PIB incorporant ces activités sera bien fourni à Eurostat, permettant ainsi de comparer les pays entre eux sur la base d’un même calcul. Voilà qui promet de fournir des cartouches intéressantes à nos frétillants ministres de l’Économie et des Finances, qui ont justement bien besoin de ce genre de coups de pouce.

À ces mensonges habituels de politiciens et ces gros bobards des institutions étatiques, il va maintenant falloir ajouter les pirouettes statistiques de Thomas Piketty, cet économiste qui fut officiellement celui du PS. Ces deux mots accolés, « économiste » et « du Parti Socialiste », ont quelque chose de comique, voire obscène vu les gamelles permanentes qu’ils nous ont offert sur les cent dernières années… Comique qui se fait de répétition lorsqu’il s’agit du brave Thomas puisqu’on découvre que les données de son récent pensum, « Le Capital au XXIème siècle », seraient parsemées de manipulations bizarres (pas forcément frauduleuses mais en tout cas nécessitant quelques explications) et d’erreurs théoriques discutables.

Bien évidemment, tout ce que la fine fleur des journaux de gauche peut compter dans ses rangs s’est rapidement emparé de l’affaire pour essayer de comprendre comment leur poulain délicatement marxisant aurait pu déraper, et tente à présent de modérer autant que faire se peut les critiques sur « l’économiste du PS » français. En réalité, il n’y a pas vraiment lieu d’être surpris lorsqu’on se rappelle que ce n’est pas la première fois que Piketty se livre à une interprétation très hardie de ses données.

Il continue donc simplement son œuvre idéologique, aidé par une presse complaisante et un public majoritairement acquis à la thèse d’un capitalisme racine de maux infinis et d’aliénation perpétuelle des masses laborieuses, quand bien même les milliards d’humains récemment sortis de la misère la plus noire du communisme attestent pourtant du contraire.

Car ne l’oubliez pas, des petites calembredaines habituelles des politiciens aux gros bobards méthodologiques de Piketty en passant par les petits arrangements statistiques des États, les mensonges ne marchent jamais d’autant mieux que ceux qui les reçoivent n’en attendent pas plus. Et comme j’ai commencé par une citation de Mark Twain, je terminerai, pour faire bonne mesure, par celle d’un statisticien, Aaron Levenstein, qui avait noté avec autant d’humour que de lucidité que les statistiques, c’est comme les mini-jupes : ce qu’elles révèlent est suggestif, mais ce qu’elles dissimulent est essentiel.

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7 Comments

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  • pas dupe , 29 mai 2014 @ 19 h 36 min

    Faire mentir les chiffres… le déficit… Hollande… 3% manque de chance c’est pas le bon pourcentage, c’est un sondage !!

    “François Hollande est redevenu « Monsieur 3% ». Les Français ne sont plus que 3% à le préférer comme candidat du PS à la prochaine présidentielle de 2017”
    http://www.lefigaro.fr/flash-actu/2014/05/29/97001-20140529FILWWW00157-exclusif-le-sondage-choc-qui-fait-trembler-le-ps.php

  • Psyché , 29 mai 2014 @ 19 h 36 min

    Il y a plus de chômeurs que d’électeurs socialistes !
    La France comptait fin avril 3 364 100 chômeurs n’ayant exercé aucune activité.
    Dimanche dernier, les liste PS ont rassemblé 2 594 084 électeurs dans l’hexagone.
    La France compte donc plus de demandeurs d’emplois que d’électeurs socialistes.
    Le symbole est éclairant…

  • Psyché , 29 mai 2014 @ 19 h 43 min

    Le score de dimanche dernier remis en perspective,
    en tenant compte des abstentionnistes, parti majoritaire en France avec 58 % :

    http://auxinfosdunain.blogspot.fr/2014/05/le-vote-de-dimanche-remis-en-perspective.html

    Ce qui est extrêmement rassurant, c’est qu’il n’y a plus que 7% et 5% de niais ou de rentiers pour voter pour les traitres intégraux de l’UMP et du PS… Les soi disant “partis de gouvernement” dirigent désormais avec une base électorale de 12%, tous les deux réunis.

  • Psyché , 29 mai 2014 @ 20 h 22 min

    35 ans de mensonges et de traitrise €-péïste :

    http://www.youtube.com/watch?v=qzV52nNCvB0

  • pas dupe , 30 mai 2014 @ 7 h 01 min

    Avec des chiffres les francs-maçons sont en train de pousser Valls faisant croire qu’il est le plus apprécié chez les sympathisants socialistes !!!
    Il faisait à peine 5% aux primaires !!!!
    C’est ce que nous subissons d’ailleurs avec tous leurs sondages à la noix !!! Mensonges et embobinage !

    Et Bernard Vaussion, le grand chef retraité de l’Elysée, publie ses souvenirs… :

    “«L’expression gauche caviar se justifie pleinement», ironise-t-il. Bernard Vaussion narre «les goûts de luxe de la cour qui entoure François Mitterrand». «Un grand pot de caviar trône souvent à côté d’un plat de saumon fumé (…) les convives sont priés de se servir sans retenue». Michel Charasse le déguste «à la cuillère». «Vous allez voir, on va leur presser le citron aux Français», lance alors le ministre du Budget de l’époque.”
    http://www.lefigaro.fr/politique/le-scan/coulisses/2014/05/28/25006-20140528ARTFIG00222-l-ex-chef-des-cuisines-de-l-elysee-raconte-les-caprices-des-presidents.php

  • monhugo , 31 mai 2014 @ 17 h 55 min

    Médiocre 1er n’est souhaité comme candidat PS pour 2017 que par 3 % d’électeurs potentiels (sondage récent) ? C’est le candidat idéal, voyons ! Pour se débarrasser de la gauche – effet “total rejet” assuré, bien plus marqué que le rejet de Sarkozy en 2012, (qui lui donna une “victoire” factice).
    Un Valls, par exemple, pourrait, sur un malentendu, être soutenu même par des électeurs de “droite”, qui croiraient qu’il se rapproche de la droite de l’échiquier politique.

  • Charles , 1 juin 2014 @ 22 h 27 min

    L’euro risque de se retrouver en hausse passant de $1.38 a $1.44
    compte tenu de la pression des marchés qui notent un excédent commercial
    de 20 Milliard /mois depuis 3 mois.
    Mario Draghi n’a que peu d’outils ou de cartes défensives pour éviter une telle hausse

    Donc nous allons vers un excédent de zone de 200 Milliard€ en 2014.
    Ceci contenant un déficit commercial qui approche les 80 milliards pour la France.
    Cette situation est simplement intenable pour l’économie française…

    http://www.thefinancialist.com/draghi-cant-hold-the-euro-down-much-longer/

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