L’espoir changea de camp, le combat changea d’âme…

Guillaume de Thieulloy

Dans la poésie du vieil Hugo, cette phrase annonce la défaite de Waterloo. Mais c’est à ce vers, qui pourrait tout aussi bien dépeindre le début de l’agonie d’un mammouth idéologique, que je pensais le 16 octobre, alors que nous battions une nouvelle fois le pavé parisien, sous un soleil resplendissant, tout à la joie de nous retrouver si nombreux et si peu disposés à lâcher quoi que ce soit – et alors que notre combat était en train de prendre une nouveau tournant.

Avait-on assez entendu dans la « grande » presse que la Manif pour tous s’essoufflait, que les leaders de droite la fuyaient, que ses préoccupations n’intéressaient plus personne ?
La réalité, ce jour-là, éclatait au regard de ceux mêmes qui voulaient s’aveugler. Autour de 200 000 personnes réunies dans la rue, plus de 3 ans après le vote de la loi Taubira, voilà qui n’était certes pas banal. 200 000 personnes, c’est déjà, en soi, l’une des plus grosses manifestations des trois dernières décennies. Mais 200 000 personnes qui défilent, alors qu’elles n’ont cessé de se faire insulter par l’immense majorité des « élites » autoproclamées, alors qu’elles ne revendiquent rien pour elles-mêmes, alors même qu’elles semblent, à vue humaine, avoir perdu la bataille, voilà qui est plus original encore.

Oui, décidément, notre mouvement doit être perturbant pour les commentateurs « autorisés ». Nous autres, « fascistes en loden », comme dirait Nicolas Sarkozy, nous ne faisons décidément rien comme tout le monde et la conséquence inéluctable, c’est que personne ne parvient à comprendre les ressorts de ce mouvement.

Je voudrais donc parler ici, non pas comme le chroniqueur que je suis habituellement, mais comme un manifestant parmi d’autres, pour expliquer à mes confrères journalistes et aux politiciens, que j’ai naguère fréquentés au parlement, ce que nous sommes et ce que nous voulons. Cela leur évitera peut-être de recommencer les mêmes erreurs grossières la prochaine fois (je le dis sans trop y croire!)…

La première chose qu’il faut bien avoir en tête, c’est que ce mouvement est une lame de fond qui dépasse de très loin la seule question du « mariage » gay. C’est une forme de renaissance dans l’espace public de cette droite conservatrice, de cette droite catholique, qui fut longtemps la colonne vertébrale de notre patrie – et qui, aujourd’hui encore, continue à donner tant de réelles mais discrètes élites, aux antipodes des oligarchies tape-à-l’œil que l’on voit sur le devant de la scène. Sociologiquement, historiquement, il s’agit de la vieille droite légitimiste, qui fit tant pour l’essor de notre agriculture au XIXe siècle et ce que l’on appellerait aujourd’hui l’aménagement du territoire (au point que le député Crémieux s’exclama un jour, en direction de l’aile droite de l’hémicycle : Dehors les ruraux !), mais qui fut aussi à l’origine de nombreuses lois sociales (que la droite hors-sol et la gauche libertaire et égalitariste détricotent inlassablement depuis 40 ans, le dernier avatar étant la suppression du repos dominical), qui résista aux inventaires en 1906 comme à la nationalisation de l’enseignement catholique en 1984, qui rejeta la « chienlit » en 1968, ces notables de province que la loi Macron s’apprête à laminer une nouvelle fois… En un mot, une droite enracinée, discrète, attachée à l’honnêteté, au travail et à l’épargne – qui étaient autrefois des vertus et qui, aujourd’hui, dans la France post-soixantehuitarde et hollandiste du « Après moi le déluge » sont des tares.
L’attachement à la famille, c’est d’abord l’attachement à la tradition que nous avons reçue et que nous voulons transmettre. Que cela soit difficile à comprendre pour une caste politico-médiatique gavée aux séries américaines, je le conçois aisément, mais c’est ainsi.

L’attachement à la famille, c’est aussi le refus de la démagogie et de la facilité. Quand on éduque un enfant, on peut « faire semblant » quelques mois, certainement pas vingt ans : si nous voulons transmettre nos valeurs, nous avons l’obligation de les vivre, comme nos parents les avons vécues avant nous. Voilà qui doit, une nouvelle fois, perturber furieusement des politiciens qui ont toujours fonctionné sur le mode de la « magie du verbe » : peu importe la réalité, « les gens » ne retiendront que ma « petite phrase »…

L’attachement à la famille, c’est enfin le rejet du totalitarisme et le choix des communautés naturelles. Quand, en marge du débat sur la loi Taubira, le sénateur socialiste Jean-Pierre Michel, ancien du Syndicat marxiste de la magistrature, nous expliqua que la loi était « l’expression d’un rapport de forces à un moment donné, point final », il définit très exactement la loi au sens révolutionnaire et totalitaire du mot. C’est aussi contre cela que nous nous battons : pour nous, la loi positive ne peut pas aller contre la loi naturelle. Le parlement n’a aucunement le pouvoir de changer la nature du mariage – qui préexiste à l’Etat –, pas davantage qu’il n’avait le pouvoir dans les années 1930 de dire que les Juifs n’étaient pas des hommes.
Voilà, en quelques mots, nos ressorts idéologiques, psychologiques ou sociologiques. Nous avons si bien été marginalisés depuis des décennies que pratiquement plus personne dans l’oligarchie ne les comprend.

Mais ce qui est tout à fait remarquable, c’est qu’après des décennies de matraquage, il demeure une telle force conservatrice. J’ai entendu certains journalistes se gausser du fait que « seuls » 24% des Français soient attachés aux valeurs de la Manif pour tous. Pour ce qui me concerne, je suis ébahi qu’il y en ait autant. On m’aurait dit qu’il n’y en avait que 10% que cela ne m’eût nullement surpris. Et cela aurait tout à fait suffi pour notre victoire à long terme.

Car il y a encore une chose que nos adversaires et ceux qui nous observent sans nous comprendre ne voient pas : nous nous battons pour les générations à venir – car nous, nous ne croyons pas avoir un droit à l’enfant, mais nous savons avoir des devoirs vis-à-vis de nos enfants. Nous ne verrons probablement pas nous-mêmes nos victoires et, pour tout dire, nous ne nous en moquons pas, mais nous estimons que le temps appartient à Dieu et que nous n’avons qu’un devoir (multiforme) : nous battre, tenir et transmettre. La victoire, et le temps de la victoire, ne nous appartiennent pas. Nous raisonnons à long terme, à 20, 30, ou 50 ans. Bien sûr, pour la prochaine élection, c’est compliqué de nous « gérer », mais nous ne tenons pas spécialement à être simples à gérer pour la prochaine élection !

Je précise, pour que les choses soient bien claires, que cela veut très précisément dire que nous préférons encore avoir un nouveau quinquennat socialiste, malgré tout ce que cela implique de catastrophes, qu’un quinquennat officiellement de droite, mais promouvant les mêmes contre-valeurs que celles de M. Hollande ou de Mme Taubira. Au moins, avec un quinquennat socialiste, nous conservons l’espoir de tourner la page… Gagner les élections en abandonnant nos valeurs est une défaite, quand perdre un combat électoral ponctuel en faisant progresser nos principes est une victoire. Là encore, je conçois sans peine que ce soit inintelligible pour des hommes qui vivent des mandats électoraux, mais pour une personne de simple bon sens, cela ne me semble guère difficile à comprendre.

Oui, nous nous battons sur la longue durée. Or, pour un combat idéologique de longue haleine, ce sont les minorités qui sont décisives, pas les majorités.

D’ailleurs, vos belles majorités, soi-disant acquises à l’individualisme et à l’hédonisme soixante-huitards, où sont-elles ? Il n’y a plus que 12% de Français à souhaiter que François Hollande, caricature de la politique individualiste, matérialiste, jouisseuse même, et tout à la fois libertaire et liberticide, se représente. Nous pesons, d’ores et déjà, deux fois plus que lui !

Plus sérieusement, ce qu’il faut regarder, plutôt que ces « seuls » 24%, c’est que l’immense majorité des 76% restants n’ont rien contre nos valeurs. S’il reste en France, en 2016, 10% de la population attachée viscéralement à l’idéologie soixante-huitarde, c’est bien le maximum. Nous sommes, quant à nous, bel et bien minoritaires, mais nettement plus nombreux que nos adversaires. C’est cela que la Manif pour tous nous a permis de réaliser. C’est pour cela que nous tenons à ce mouvement.

Mieux : à droite, tous les sondages montrent que défendre l’abrogation de la loi Taubira peut faire gagner des voix, mais non en perdre. En d’autres termes, pour un candidat de droite, se battre pour l’abrogation peut certes rapporter des coups médiatiques, mais, électoralement, on ne peut pas imaginer plus « rentable » opération.

Si vous m’avez suivi jusqu’ici, vous avez des chances de comprendre les conséquences politiques de ces préalables.

Nous sommes toujours délibérément attachés à l’abrogation de la loi Taubira. C’est, de très loin, le mot d’ordre qui a le mieux « marché » dans la manifestation du 16 octobre. C’est, pour nous, un marqueur décisif. Une personne qui veut nos voix et qui nous parle de famille sans nous parler d’abrogation de la loi Taubira n’a manifestement rien compris à notre mouvement. Toutes les arguties juridiques n’y feront rien. On peut nous parler de « réécriture », nous savons bien que cela vaut refus de s’engager à abroger la loi et c’est pour cela que nous n’en voulons pas. A fortiori, nous rejetons les « grands » candidats à la primaire de droite qui nous disent : je ne reviendrai pas sur la loi Taubira, mais comptez sur mon engagement contre la GPA. Pourquoi ? D’abord, parce que, sur le « marqueur », ils montrent qu’ils n’ont rien compris. Mais aussi parce que nous ne sommes pas plus ignares que les autres et que nous savons bien que, pour s’opposer à la GPA, il n’existe que deux solutions : soit abroger la loi Taubira, soit dénoncer un certain nombre de nos engagements internationaux. Imagine-t-on sérieusement Alain Juppé être si bien résolu à s’opposer à la GPA qu’il dénoncerait la jurisprudence de la CEDH ?

“Tôt ou tard, nous arriverons à une masse critique suffisante pour emporter enfin l’union des droites
que nous appelons de nos vœux depuis des années.”

J’ajoute que la loi Taubira est aussi, pour nous, un test. Une personne qui est si bien soumise au politiquement correct qu’elle tremble à l’idée de dire son opposition à une mauvaise loi – à une loi dont cette personne dit elle-même qu’elle est mauvaise ! – ne pourra jamais mener à bien les difficiles réformes dont la France a besoin.

Et puis, la loi Taubira est encore une fantastique occasion de briser le « cliquet ». Vous savez, le cliquet, c’est cette idée absurde, mais profondément enracinée dans la tête des politiciens, que la droite ne peut pas renverser une loi sociale (pardon, on dit « sociétale » en novlangue) votée par la gauche. Eh bien, si nous maintenons la pression, nous pouvons imposer, pour la première fois depuis au moins cent ans, et peut-être même depuis 1789, que la droite soit obligée d’avoir dans sa plateforme de gouvernement le rejet de cette jurisprudence du cliquet, sans quoi elle ne gagnera pas les élections. C’est aussi simple que ça.

J’entends d’ici la critique : Sommes-nous donc tellement irresponsables que nous prendrions le risque de faire battre la droite, de faire repasser la gauche, pour un sujet aussi mineur ? La réponse est, bien évidemment, oui. Avec deux arguments principaux. Tout d’abord, ce soi-disant sujet mineur a été défini comme un changement de civilisation par Mme Taubira elle-même. Ce n’est pas tout à fait rien. La loi Taubira est un formidable révélateur d’une conception de l’homme et de la société contre laquelle nous nous battons : elle fait des hommes des monades déracinées et parfaitement interchangeables, totalement soumises à l’Etat et au marché. Ce n’est pas pour rien que la loi Taubira ouvre la porte à la GPA : faisant du sacro-saint contrat, en bonne doctrine rousseauiste, l’unique forme de relation entre les hommes, elle légitime la vente d’enfants, la location d’utérus et, à terme, l’esclavage… Si je peux acheter un enfant à une Indienne miséreuse contre quelques poignées de milliers d’euros, pourquoi, en effet, ne pourrais-je pas acheter cette Indienne elle-même ? Pour nous, nous considérons que l’amour ne se monnaye pas et nous refusons de toute notre âme ce monde glauque où tout est possible « entre adultes consentants ».

Quant à prendre le risque de faire gagner la gauche, j’ose à peine répondre à la critique tant elle me semble absurde: si la droite a le programme de la gauche, à quoi bon voter pour elle ? Je préfère encore avoir Hollande 5 ans de plus. Au moins nous aurons un espoir d’alternance !

Pourquoi donc cette manifestation du 16 était-elle nécessaire et pourquoi fut-elle un succès ? Elle était nécessaire, car nous devions, à la veille de 2017, dire que nous ne lâcherions décidément rien et que l’abrogation de la loi Taubira était pour nous un critère décisif du courage politique et de l’attachement à la vieille civilisation française. Je respecte les personnes attachées à l’idéologie de mai 68 et je prie bien volontiers our elles, mais elles ne peuvent pas obtenir nos voix. C’est tout. On ne peut pas à la fois draguer les médias libertaires et la Manif pour tous. La cohérence des hommes politiques est le B-A BA de la confiance que nous pouvons leur accorder.

Pourquoi fut-ce un succès ? Tout simplement, parce que 200 000 Français dans la rue pour dire, en substance, qu’ils voteront en fonction de leurs convictions et non en fonction des étiquettes partisanes, c’est énorme. En 5 ans, nous avons pratiquement multiplié par 10 le noyau dur de cette minorité active, grâce à laquelle, dans les décennies à venir, nous allons renverser la contre-société de 68. Nous pouvons bel et bien dire : Merci, M. Hollande !

Je parlais à l’instant d’étiquettes partisanes. Il me faut dire un petit mot des sifflets. Oui, il est injuste que Valérie Boyer, députée des Bouches du Rhône que j’apprécie beaucoup pour son courage et notamment son engagement à défendre les chrétiens d’Orient, se soit fait siffler quand elle a mentionné le nom de François Fillon. Elle battait le pavé avec nous. Ce n’était pas elle qu’il fallait siffler. Mais tout le monde comprend bien que ce n’est pas elle qui a été sifflée. Ce n’est même pas François Fillon qui n’est pas le pire des « grands » candidats. C’est cette tendance des hommes politiques à toujours tenter de finasser pour obtenir des voix. A ne pas être clairs sur leur vision – au moins sur les sujets majeurs, qui engagent l’avenir de la civilisation.

Et on ne saurait donc s’étonner qu’à l’applaudimètre, Jean-Frédéric Poisson et Marion Maréchal l’aient de très loin emporté sur tous leurs collègues politiciens. Ils incarnent, l’un et l’autre, une tendance probablement majoritaire dans leurs électorats respectifs, mais minoritaires dans leurs appareils politiques, à dire clairement, sans peur du politiquement correct, sans agressivité pour ceux qui ne partagent pas leur avis, leur vision du monde. Et ce n’est pas non plus un hasard si l’un et l’autre sont des pièces maîtresses de la recomposition de la droite qui commence sous nos yeux et qui, vraisemblablement, s’accélérera après les prochaines législatives.

Cette manifestation était à la fois sans doute la dernière du calamiteux quinquennat Hollande et la première d’un nouveau cycle. Le combat a ainsi changé d’âme, comme je le disais en commençant. Aussi paradoxal que cela puisse sembler, cette fois, nous ne défilions plus pour répondre aux attaques anti-familiales du gouvernement socialiste ; nous défilions pour expliquer notre vision de la reconquête. Nous serons, dans les années qui viennent, de plus en plus nombreux à voter tantôt pour un candidat FN, tantôt pour un candidat LR, tantôt pour un candidat de la société civile, en fonction de la qualité des candidats et de la qualité de leur programme, et non en fonction de leur étiquette – et sans trop nous préoccuper du trop fameux « vote utile » qui voudrait nous obliger à ignorer nos convictions dès le premier tour.

Tôt ou tard, nous arriverons à une masse critique suffisante pour emporter enfin l’union des droites que nous appelons de nos vœux depuis des années. Il ne s’agira pas d’une union d’appareils partisans hors-sol, mais d’un accord sur une plateforme de valeurs et de programme. Et cette union des droites renversera non seulement la loi Taubira, mais aussi l’ensemble de la contre-société et de la contre-culture issues de la révolution de 68, pour revenir à une vision anti-totalitaire et anti-individualiste de la personne humaine et de la société. Au demeurant, les abondantes critiques, les nombreuses attaques contre la Manif pour tous, depuis quelques semaines, sont aussi le signe que la peur, comme l’espoir, ont changé de camp. Les années qui viennent seront dures, bien sûr. Mais, si, vraiment, nous tenons notre fameux slogan (On ne lâche rien, jamais), nous avons enfin la possibilité de ne plus seulement ralentir la décadence, mais de préparer la lente et patiente reconstruction.

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8 Comments

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  • 0 / 10
  • Cap2006 , 31 octobre 2016 @ 10 h 24 min

    Diantre,

    Je suis persuadé qu’il y’a de la place pour un parti politique de conservateur et catholique…

    Et je souscrits bien volontier à l’exigence de vivre ses convictions profondes, de s’appliquer à soi même les valeurs si généreuses et si humaniste du catholicisme, pour éduquer ses enfants, et aussi dans le quotidien, associatif, professionnel…

    Sauf que pour pratiquer ces élites “cathos” , leur entre soi plein de suffisance, la violence de leurs intolérances , leur servilité pitoyable, suffisent à discréditer l’universalisme de l’ambition politique.

    Et l’opposition à la bien timide loi Taubira est en effet exemplaire a bien des égards… de la totale hypocrisie des élites cathos, de la triste absence de bienveillance…
    L’ordre naturel … dans votre bouche, c’est celui qui vous convient…

    PS : sur la famille, vous serez crédibles le jour où vous réclamerez à l’état de ne plus célébrer de “mariage” à réserver uniquement aux instances religieuses.
    PS : sur la filiation, vous serez crédibles le jour où vous exigerez un test ADN pour imposer les paternités “biologique ” et interdisez tout principe d’adoption à quiconque( et pas seulement aux homos), que vous bannirez tout recourt à la PMA avec donneur tiers… ou à donneur décédé…

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