6 millions d’Euros détournés en 10 ans dans une étude notariale…

Tribune libre de Vincent Lecoq*

A chaque scandale qui la secoue, dans une posture néo-pavlovienne, la profession notariale se décerne à elle-même un nouveau brevet d’honorabilité. La condamnation d’un ou deux ou cinq ou dix notaires ripoux serait à chaque fois la confirmation la plus éclatante de la scrupuleuse honnêteté de tous les autres. L’article de Thibault Doidy de Kerguelen présente une riche recension des notaires mis en examen ou condamnés depuis le début de l’année. Il nous semble intéressant de rechercher l’explication de ces errements.

A notre sens, cette explication est double. En effet, à l’absence de contrôle étatique pour prévenir les fraudes (1) fait pendant un défaut de sanction judiciaire lorsque les fautes sont révélées (2).

Le défaut de contrôle de l’Etat sur les notaires

L’attribution à un citoyen du pouvoir exorbitant d’authentifier un acte, c’est-à-dire du pouvoir de dire le vrai, ne peut se concevoir qu’en raison d’un contrôle très strict opéré par l’État sur les détenteurs de ce pouvoir.

L’article 45 de la loi du 20 avril 1810, toujours en vigueur, confère à cet effet un “droit de surveillance”, comprendre un devoir de contrôle, au procureur général sur les notaires de sa Cour.

Mais voilà, confier à 35 procureurs généraux la tâche de contrôler 9 000 notaires, revient à imposer à chaque procureur général de contrôler 300 notaires, soit un travail à plein temps sur la base du contrôle d’un notaire par jour. C’est-à-dire une mission impossible.

Regrettablement triviale, la réalité est que les procureurs généraux ne s’acquittent tout simplement jamais de la tâche qui leur a été confiée par le législateur et que l’Etat, en catimini, délègue aux notaires le soin d’organiser eux-mêmes la surveillance de leur activité. Dans ces conditions, le contrôle, dont pourtant l’existence seule justifie le statut d’officier public accordé au notaire dégénère, au mieux, en auto-contrôle, le plus souvent en une absence radicale de contrôle.

Patrick Beau, président de la conférence des procureurs ne s’y trompe d’ailleurs pas, lorsqu’il présente dans ces termes le résultat pratique de cette cascade de délégations et sub-délégations : « Il y a certainement des tas de choses dont je ne suis pas informé ». On ne saurait mieux décrire l’irréalité d’un contrôle hautement revendiqué par la profession notariale.

Observateur attentif du notariat, Ezra Suleiman relevait déjà il y a vingt-cinq ans à la fois l’ampleur et l’ancienneté des malversations commises par la profession. “Ceci est vrai aussi bien pour la fin du XIXème siècle que pour les années 60 et 70 où l’on pu constater, relatées dans la presse, les pertes énormes causées par des notaires un peu trop pressés d’utiliser les fonds de leurs clients dans des investissements douteux mais prometteurs”.

Dans un tel contexte l’on ne peut être étonné d’apprendre que cinq notaires peuvent être à l’origine d’un préjudice d’un milliard d’euros (comme en fournit l’illustration l’affaire Apollonia)

Parmi de trop nombreuses autres, les deux affaires picarde et bordelaise (l’article précité de Thibault Doidy de Kerguelen) nous autorisent à formuler l’hypothèse que ces offices notariaux, depuis longtemps engagés dans des malversations frauduleuses 10 ans pour l’un, 30 pour l’autre, sont parvenus à éviter que les contrôles, pourtant annuels, n’aboutissent à quelque sanction que ce soit à leur encontre.

Il est légitime de formuler l’hypothèse que les offices notariaux n’ont en définitive été poursuivis qu’à partir du moment où les fraudes récurrentes ont fini par devenir trop importantes pour continuer à être dissimulées.

Si cette hypothèse est erronée, il faut alors nécessairement conclure à l’inefficacité de l’auto-contrôle et envisager plus que sérieusement de modifier les modalités de surveillance de cette profession à risque, puisque, selon ses propres dires, elle reçoit 20 millions de personnes chaque année, rédige dans le même temps 3,6 millions d’actes authentiques pour un montant atteignant 600 milliards d’euros.

Rappelons par ailleurs que, sur la période 2000-2005, uniquement en matière de responsabilité civile professionnelle, ont été enregistrées entre quatre mille et quatre mille cinq cents sinistres par an (pour 4 534 offices notariaux), soit un sinistre par an et par office. L’indemnisation à la charge des compagnies d’assurances des notaires atteint un montant annuel compris entre 80 et plus de 100 millions d’euros. Il n’est plus possible, à ce stade, de traiter ces sinistres comme un phénomène anecdotique.

Il arrive parfois que les fraudes des notaires soient mises à jour. La justice entre alors en scène, mais elle rend des décisions qui, c’est le moins que l’on puisse écrire, ne revêtent aucun caractère d’exemplarité.

Le défaut de sanction par le juge des notaires fautifs

L’article précité de Thibault Doidy de Kerguelen est particulièrement révélateur des mécanismes mentaux qui guident les magistrats lorsqu’ils doivent entrer en voie de condamnation contre leurs cousins, ces « magistrats de l’amiable », comme aiment à se présenter, pour d’obscures raisons, les lointains successeurs des tabellions.

La faiblesse des sanctions prononcées en juin dernier par le juge bordelais confirme que, pour l’essentiel, rien n’a changé au sein de la magistrature depuis les débuts Juge Thierry Jean-Pierre : « Quand j’ai commencé à l’instruction, le parquet poursuivait systématiquement les vols supérieurs à trois cents francs, quel que soit le contexte. Un lundi après-midi, je siégeais à une audience de correctionnelle. On jugeait une mère de famille qui n’avait jamais volé, jamais été condamnée, et qui, deux jours avant Noël, dans une grande surface, avait volé un blouson à trois cents francs. Elle avait été piquée à la caisse et avait restitué le blouson. Préjudice : zéro franc. Le parquet l’avait tout de même poursuivie. Le mercredi, je remplace un collègue à l’audience civile. Et là, fait exceptionnel, le tribunal siège en audience disciplinaire contre un notaire chez qui la police avait découvert un trou de deux millions en comptabilité. Elle conclut à la nécessité d’investigations complémentaires… Je lis le dossier, et qu’est-ce que j’y découvre ? Que le parquet du Mans a ordonné de classer l’affaire».

Ainsi, l’État qui ne contrôle pas le notariat éprouve une certaine réticence à sanctionner les notaires délinquants, et assure par ce double mécanisme de longue date à cette profession une protection à la fois indéfectible et inconditionnelle.

Concluons avec le juge Renaud Van Ruymbeke, que « ce système où le voleur, quand il est chômeur ou SDF (ou comptable), est sanctionné quotidiennement alors que les plus gros fraudeurs échappent aux mailles du filet grâce à leurs appuis et à une forme de lâcheté et d’hypocrisie, ce système-là devient insupportable ».

Vincent Lecoq est Maître de conférences en droit, Porte parole du collectif Non/taire et auteur du livre « Manifeste contre les Notaires” .

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26 Comments

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  • antoine , 25 août 2012 @ 23 h 04 min

    Je vous ai insulté? Vous ne vous êtes pas fait jeter aux épreuves d’admission aux fonctions de notaires? Ce n’est pas par dépit que vous vidangez en permanence vos glandes salivaires sur cette profession après avoir rêvé d’y adhérer? Vous tentez d’expliquer ce revirement parce que vous n’auriez pas su ce qu’elle était et maintenant confirmez que c’est toujours actuel.
    Les actes liés au crédit? C’est quoi selon vous, puisque vous prétendez être apte?
    Où avez-vous vu que je classais les fusions de sociétés dans les successions? Les 7 % ne sont pas une rubrique homogène (je suppose que le classement a été réalisé à partir des critères comptables, les réalisations effectives par actes dans les successions etant répertoriées au titre des opérations successorales et familiales ) qui comporte aussi le conseil patrimonial qui tourne souvent autour des acquisitions à titire gratuit et onéreux puis leur transmission par donation et succession et bien entendu la fiscalité de tout cela.
    Ainsi vous avez une vision plus qu’approximative de la vie quotidienne des notaires et ce constat prive vos divagations de toute légimité…

  • vincentlecoq , 26 août 2012 @ 11 h 07 min

    Antoine,
    Comme l’écrasante majorité de mes contradicteurs notaires, vous tentez de décrédibiliser l’un des auteurs (comment justifier par le dépit la cosignature du bouquin par Laurent Lèguevaque, un ancien juge d’instruction?), car vous n’avez pas de réponse rationnelle à nos arguments.
    J’ai écrit sur l’urbanisme commercial, parce que j’aurais aimé être une boîte de conserve?
    Sur la loi littoral, car je rêvais d’être du sable fin?
    Plus récemment sur l’affaire Colonna, parce que j’aurais rêvé être, 1 Corse? 2 préfet? 3 juge au pôle antiterroriste?
    Vous comprendrez dans ces conditions que sans répondre à vos aboiements je passe désormais mon chemin.

  • antoine , 26 août 2012 @ 13 h 27 min

    Réponse hors sujet et surtout ridicule ! Vous êtes recalé (une fois de plus!!).

  • t , 18 juin 2013 @ 12 h 48 min

    “…Il semble toutefois que désormais, les choses puissent se débloquer rapidement. En effet, Christiane Taubira, la nouvelle garde des Sceaux paraît davantage sensible au respect par la France de ses engagements internationaux qu’à la protection étroitement catégorielle de quelques milliers de nantis.

    Sous l’impulsion de la nouvelle ministre de la justice, la Chancellerie étudierait dès à présent et par priorité la suppression du tarif des notaires.

    La fin de ce tarif constitue évidemment une réforme majeure du statut des notaires, pour ses conséquences immédiates, puisque le montant des coûts des transactions sera significativement minoré mais également car la suppression du tarif, par un effet de domino, entraînera une heureuse remise en cause des autres aspects les plus choquants de ce statut hérité d’un temps révolu.

    Conséquence inévitable de cette première réforme est à bref délai la liberté d’installation de tout diplômé notaire, ainsi que le suggéraient en termes voisins les rapports Attali de 2008 et Darrois de 2009. En effet, puisque le tarif est, selon le notariat français la conséquence nécessaire du monopole, la suppression de l’un doit entraîner, en bonne logique, la disparition de l’autre.
    ….”

    “…..
    17 juin 2013
    109ème Congrès des notaires de France
    Cette année, la Garde des sceaux a notamment évoqué : le décret sur la base de données immobilières, le fichier central des dispositions des dernières volontés et de l’exclusion du notariat du champ d’application de la directive de reconnaissance des qualifications professionnelles.
    Christiane Taubira a rappelé l’implication forte du ministère de la justice dans les négociations européennes portant sur la directive de reconnaissance des qualifications professionnelles, soulignant la qualité du travail commun avec les représentants de la profession qui a permis d’obtenir de sérieuses garanties vers l’exclusion du notariat du champ d’application de ce texte.

  • antoine , 7 août 2013 @ 23 h 33 min

    Je ne sais qui est “t” mais il pourrait se faire appeler “0” car il ne connait pas le sujet : la suppression du tarif du notaire a été expérimentée à l’étranger avec pour conséquence l’augmentation du coût global des opérations car seuls les gros clients avec un fort pouvoir de négociation ont obtenu une diminution de leurs frais (assez peu d’ailleurs par rapport à la globalité de ces frais puisque la rémunération actuelle du notaire est de l’ordre de 0,9 %). Bilan des courses : seuls les “petits” ont trinqué dès lors qu’il a fallu leur facturer le coût réel de leur dossier contrairement à l’application du tarif règlementé…

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