La dissidence bobo dans tous ses états

Interrogeons-nous sur le phénomène de l’ainsi nommée « Dissidence » à la française, portée par une fraction grandissante des bobos. Il existe deux types bien caractérisés de Bobos dissidents à ne pas confondre, même si l’on observe des convergences de plus en plus évidentes.

Le concept de bobos (bourgeois-bohèmes) a été popularisé par l’essayiste américain David Brooks dans un livre paru en 2000, Bobos au Paradis. Philippe Muray parlait d’Homo festivus : « Festivus festivus existe, je l’ai rencontré, vous aussi. On les a appelés élites urbaines. Ou bourgeois-bohèmes ». (Festivus festivus, 2005). En fait, l’expression « bourgeois-bohème » a été créée par Claire Bretécher dans le tome 3 de la bande dessinée Les Frustrés, publié en 1978. Contrairement à l’usage polémique qui en est fait, le terme ne désigne nullement une idéologie politique univoque qualifiée de « socio-libérale » (?) et intégrée au « système ». Il s’agit en fait d’un statut social regroupant deux sociotypes très différents professionnellement et politiquement. Ils sont néanmoins très difficiles à différencier au premier abord, jusque dans l’accoutrement. A la terrasse d’un café, on repère le bobo. Est-il du genre cadre parvenu ou du genre socio-éducatif (lire ci-dessous) ? Et puis est-il « intégré » ou « dissident » ? Nous allons nous borner à la sphère dissidente qui affecte les deux sociotypes.

1) Le bobo dissident version socio-éducatif se caractérise par une aisance matérielle médiocre et une forte dose d’individualisme, mais aussi par un souci éthique affiché. Il exerce dans les professions sociales et enseignantes, ou dans des métiers créatifs (chercheurs, artistes). Régis Debray les a caractérisés comme « basse intelligentsia » en référence au bas-clergé d’Ancien Régime, sorte de semi-intellectuels en opposition avec les authentiques intellectuels de haut vol. Les bobos dissidents socio-éducatifs constituent une partie de la population pour qui le capital culturel (assez élevé) à plus d’importance que le capital économique (médiocre). Raisonnablement diplômé, ils se vivent comme injustement traités (et rémunérés) en comparaison des cadres industriels et financiers traditionnels, s’estiment supérieurs moralement car désintéressés, et manifestent un syndrome obsidional de « raté ». Leur principale force est d’être en phase avec la société telle qu’elle évolue spontanément, avec les rapports sociaux fondés sur la communication. Ils sont paradoxalement à la fois hédonistes et altruistes. Ils sont de fervents adeptes de l’école publique, de l’audiovisuel public, des transports publics, des hôpitaux publics, du théâtre public. A Paris, il vont au cinéma voir les films français (psychologisants). Dans les transports en commun, ils lisent des Prix Goncourt écrits avec compassion pour ceux qui souffrent, ou des romans d’autofiction dépeignant une femme libérée se masturbant compulsivement. Ils sont très concernés par les menaces de la mondialisation, le réchauffement climatique global, la brevetabilité du vivant, ou les dangers des OGM. Ils signent des pétitions contre les mauvais traitements infligées aux animaux, aux Gazaouis, aux femmes afghanes et contre les interventions américaines où qu’elles soient. Ils habitent un appartement exigu à Paris ou en proche banlieue. Ils adorent les journées sans voiture, la fête de la musique et la Gay-Pride. Ils voudraient vivre dans un monde plus festif où l’individu est à la fois déchaîné (au sens étymologique) et pris en charge par la collectivité, car ils détestent l’entreprise privée par principe.

Le bobo dissident socio-éducatif est bien entendu affilié au Front de Gauche, au NPA ou chez les Verts, plus rarement chez Soral (mais ça progresse, en même temps que l’antijudaïsme). Il méprise les « beaufs » sans les connaître vraiment. C’est un peu en touriste qu’il prône la mixité ethnique, car il se garde bien de la vivre au quotidien. Ses enfants sont scolarisés dans les meilleurs établissements publics des métropoles, où l’on pratique au moyen de tuyaux appropriés, la préférence nationale, voire la préférence de classe, tout en étant en paroles contre la sélection scolaire. Il est foncièrement social-libertaire, et affectionne les idées provocatrices dites « progressistes ». Il est contre les prisons, pour les théories du « genre », ouvert à toutes les expériences pourvu qu’elles ne remettent pas en cause son confort. A priori hostile aux frontières, il en érige par ses propres moyens pour lui-même : il peut habiter dans un loft avec plusieurs codes d’entrée, tout en continuant à tenir un discours en faveur des bienfaits de l’immigration.

“Quand on analyse les mouvements révolutionnaires du XXe siècle, on constate que les avant-gardes bolchéviks et nazi-fascistes étaient le produit de la fusion de ces deux couches, dans les limbes à l’époque et beaucoup moins nombreuses et influentes qu’aujourd’hui.”

2) Le bobo dissident, version cadre parvenu, vise la réussite, cultive l’esbrouffe. C’est un cynique par excellence, bien conscient qu’il est privilégié mais qu’il a surtout eu beaucoup de « chance », les magouilles et les réseaux aidant. En gros, il a digéré les mécanismes de la société de consommation… et d’internet : slasheur, il sait ce qui convient aux barbus mais préfère se raser. Grâce aux réseaux sociaux de type coach surfing, dans le passage obligé de sa carrière internationale, il a surmonté sa solitude et rencontré des « expats » de diverses nationalités, avec lesquels il part faire du rafting ou jouer au bowling dans les malls, en évitant soigneusement les spécialités culinaires locales. Tous les espaces lui sont ouverts, à condition de déployer un savoir-être en contexte. Il s’agit de se plier aux règles tacites ou explicites propres à chaque lieu : savoir séduire en anglais ses partenaires chinois de paint-ball, parler avec autorité de sujets qu’il ne maîtrise pas (à peu près tous, sa formation professionnalisante pourtant de haut niveau ayant oblitéré toute imprégnation culturelle). Il a des milliers de followers Instagram, mais n’a presque pas d’abonnés sur Twitter. Il évite les tatouages (un move plutôt risqué). Il a été “dans la banque” et prononce bizarrement le mot “finance”. Il achète Le Monde, mais ne le lit pas vraiment. Jeune adulte, il lisait encore Pif Gadget.

Issu d’un milieu modeste, le bobo cadre parvenu a milité aux Jeunesses communistes ou à Lutte ouvrière, acquérant ainsi un vision totalisante qu’il va conserver même après la fameuse crise de la quarantaine quand il passera l’arme à droite. Parfois à l’extrême-droite jurassique, ou chez les nazbols de Soral. Mais plutôt dans le « souverainisme » bourgeois de réminiscence gaulliste à la Dupont-Aignant, qui est plus présentable. Il préfère curieusement toujours le lointain au proche. Le Russe au Polonais, l’Arabe (le panarabisme syrien) à l’Israëlien, Cuba aux Etats-Unis, les autres continents à l’Europe. Il est plutôt indifférent aux débats sociétaux, mais se veut « moderne », dans le sens de l’histoire, ayant coupé le cordon ombilical avec la vraie culture populaire du « sens commun » comme disait Orwell. Par réflexe pavlovien, il crie sans cesse France, République, Souveraineté, en sautant comme un cabri, alors qu’il n’a pas la plus petite idée de l’héritage historique de notre nation, et n’est jamais entré dans une église ou sur un site archéologique. Le parvenu, aussi aisé soit-il financièrement, est un déraciné hors-sol, pur produit de la débâcle de l’enseignement de la famille. Il est le vecteur privilégié des théories complotistes. Il ne croit pas au 11 septembre ou plus généralement aux attentats en France. Il écrit est souvent la proie de sectes de type larouchien. Il lit Le Monde Diplomatique, soutient la démocratie dite « directe ». Il soutient par droitdelhommisme abstrait la liberté totale d’expression, soutient Dieudonné. Il estime représenter le Camp de la Morale et des colonisés sur le plan diplomatique, le Camp du Bien contre l’impérialisme américo-sioniste, la Bien-pensance contre le cynisme des gouvernements anti-démocratiques (ah, ce referendum de 2005 !). Une sorte de conformiste béat et narcissique sous un vernis de révolte de nouveau riche.

De fait, le paradigme est le suivant. Deux couches sociales (sociotypes) participent de la Dissidence bobo. D’une part, ce que Régis Debray a appelé la « Basse intelligentsia » (les hipsters anglo-saxons) relativement cultivée et médiocrement rémunérée, majoritairement de gauche radicale dont le moteur de leur dissidence est le ressentiment des frustrés de ne pas être reconnus et bien payés (Brétécher l’avait bien pointé). D’autre part, les cadres parvenus (les yuppies anglo-saxons) peu cultivés et très bien rémunérés, majoritairement de droite radicale, dont le moteur de leur dissidence vient de leur frustration de n’être pas intégrables dans la vraie bourgeoisie. Rappelons que tous les bobos ne rentrent pas dans ces deux sociotypes puisque je me suis borné aux versions « dissidentes ». Dans la version « bobos intégrés », on les retrouve soit dans la gauche social-libérale soit dans la droite liberalo-conservatrice.

Quand on analyse les mouvements révolutionnaires du XXe siècle, on constate que les avant-gardes bolchéviks et nazi-fascistes étaient le produit de la fusion de ces deux couches, dans les limbes à l’époque et beaucoup moins nombreuses et influentes qu’aujourd’hui. Or actuellement, on peut observer des prodromes de conjonction intellectuelle, voire politique, entre ces deux Dissidences bobos. Les mêmes causes conduisant aux mêmes conséquences, tout est à craindre.

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8 Comments

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  • 0 / 10
  • nauticat , 1 octobre 2015 @ 18 h 44 min

    bonjour ,il est bien connu que cette pseudo élite intello est constituée de songe creux qui espèrent faire passer leurs critères de valeurs marginales pour conforme aux normes .
    heureusement pour le restant de la population ; majoritairement constituée elle de personnes de bon sens ; n’en a que l’écho très atténué ; occupée qu’elle se trouve à gagner sa vie , à surnager dans un océan de lois scélérates , et à survivre aux impôts & taxes

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