Réforme des tribunaux de commerce : compétence et transparence au programme

Cours de justice armées par des juristes volontaires mais non-professionnels, les tribunaux de commerce ont toujours présenté l’avantage de voir traiter les affaires économico-commerciales par des spécialistes du domaine. Mais la compétence strictement judiciaire et la nécessité d’impartialité vont exiger des réformes en profondeur des méthodes, moyens et périmètre d’action de ces juridictions.

Des compétences remises en question

Le 15 juin 2011, le tribunal de commerce de Montpellier conforte la société GDF-Suez dans son processus d’éviction de Jean-Michel Germa de la tête de la Compagnie du Vent, dont il est pourtant le fondateur. Dénonçant à l’époque « un siphonage du savoir-faire de l’entreprise par GDF-Suez » et accusant le géant de l’énergie dirigé par Gérard Mestrallet de vouloir opérer un discret transfert d’actifs stratégiques, Jean-Michel Germa ne comprend pas, à l’époque, comment les juges consulaires peuvent « cautionner la révocation du fondateur », démis de ses fonctions lors d’une assemblée générale exceptionnelle en son absence, sur la simple demande de GDF-Suez entré au capital quelques mois plus tôt. Faisant appel de cette décision, il obtient une première fois gain de cause en décembre 2012, lorsque la cour de cassation annule le jugement rendu par le tribunal de commerce de Montpellier et sanctionne le préjudice fait à la filiale.

Au-delà du préjudice subi par la Compagnie du Vent, l’affaire pointe les lacunes d’un tribunal de commerce de province, dont la décision a finalement été jugée contraire au droit. Difficile de ne pas considérer qu’une affaire impliquant GDF-Suez réclame plus de professionnalisme, particulièrement avec un tel déséquilibre entre les deux parties. La compétence même des juges consulaires, bénévoles et volontaires, est questionnée. Faut-il adjoindre des juges professionnels aux juges consulaires ?

Ce procédé, appelé échevinage, est déconseillé par la Cour des Comptes dans un rapport rendu en juillet 2013, car il représenterait un coût supplémentaire de 20 millions d’euros par an pour la justice. Cette possibilité de mixité de la juridiction est également dénoncée par le Club des Juristes, rejoignant en cela l’avis des juges consulaires, qui plaident tous pour une nouvelle réforme de la carte judiciaire et un surcroît de formation. Pour Jean-Claude Magendie, ancien président de la cour d’appel de Paris, et membre du Club des juristes, il faut « renforcer le professionnalisme et la légitimité des juges consulaires, mais aussi des juges siégeant au sein des chambres commerciales des cours d’appel, en relevant leur niveau par une formation obligatoire ». Il est vrai que les principaux problèmes se rencontrent dans les petites juridictions, qu’il faut regrouper ou réformer.

De lenteur de procédure en conflits d’intérêts : les limites des petites juridictions

« Les tribunaux de commerce ont été desservis par des affaires comme le redressement judiciaire du volailler Doux, par exemple. Le tribunal de commerce de Quimper, chargé de trancher sur l’avenir du groupe en difficulté, comptait en effet pas moins de sept juges en conflit d’intérêts », explique Marc Sénéchal, mandataire judiciaire, associé-gérant BTSG. Dans les petites juridictions de province, il n’est en effet pas rare qu’un juge soit partie lié à l’affaire en cours. Commerçant ou chef d’entreprise élu par ses pairs, le juge consulaire est un acteur de la vie économique de sa région. « Aujourd’hui, ce sont les dirigeants d’entreprises qui jugent leurs pairs. La proximité géographique et sociologique peut jeter un trouble sur l’impartialité de leurs décisions » constate Cécile Untermaier, députée socialiste de Saône-et-Loire. Humainement il peut être difficile de se dessaisir d’une affaire ayant un impact sur son activité, celle d’un concurrent, d’une connaissance professionnelle ou touchant simplement à son secteur d’activité. Mais dans un cas comme celui du volailler Doux,  le tribunal de commerce aurait dû être dessaisi de l’affaire : deux des juges n’étaient rien moins que les commissaires aux comptes du groupe. « Doux est l’exemple type d’une affaire qui aurait dû être transmise si tout le monde avait fait son travail », regrette Guilhem Brémond, président de l’Association pour le retournement des entreprises (ARE). La compétence des juges consulaires apparait également problématique dans d’autres affaires comme celle de Sodimedical ou dans celle de l’usine Prevent Glass à Bayeux. Dans le premier cas, le tribunal de commerce s’est rangé systématiquement derrière l’avis changeant du procureur de la République, pourtant partie au litige ; dans le second, il est reproché à l’instance juridique de n’avoir fait aucun cas des emplois et de l’état du site pour payer les liquidateurs judiciaires et les mandataires.

La compétence de juges achoppe aussi sur le côté expéditif de certaines auditions alors que les procédures prennent parfois des mois ou des années. « J’ai été reçu quinze minutes, montre en main, et littéralement massacré en un seul round, assailli de questions hors de propos par un juge marchand de tapis orientaux » témoigne pour Rue 89 un chef d’entreprise en redressement judiciaire. Une situation paradoxale alors que la lenteur des procédures est le principal grief reproché à ces instances, et que plus de la moitié des 134 tribunaux de commerce traitent moins de 400 procédures par an (seuil minimum de pérennité depuis 2007). Faute de moyens et d’atteindre une taille critique, les plus petits tribunaux de commerce prennent trop de temps pour rendre leurs décisions. « Le nouveau délai de convocation est l’ultime absurdité : je ne peux toujours rien payer depuis déjà la première déclaration de cessation des paiements, ce qui est odieux pour tous et surtout mes salariés », poursuit le chef d’entreprise en question, qui ajoute « je ne vais pas faire appel je pense, c’est trop long ».  La solution : concentrer et rassembler. Pour Philippe Hameau, associé chez Orrick Rambaud Martel, « regrouper certains d’entre eux, qui sont peu actifs, permettrait de leur faire atteindre une taille critique et de leur assurer plus de moyens ».

Cette idée sera peut-être reprise par la future réforme Taubira des tribunaux de commerce, qui aura la lourde tâche de rénover le fonctionnement de la justice commerciale pour plus de transparence et d’efficacité. Personne ne conteste plus l’utilité de cette justice commerciale en place depuis le 16ème siècle, mais force est de croire que l’institution mérite de revoir son fonctionnement en profondeur.

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3 Comments

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  • Libre , 30 novembre 2013 @ 16 h 30 min

    On devrait surtout supprimer cette mafia sans délai!

  • Charles , 1 décembre 2013 @ 20 h 47 min
  • Alex57 , 1 décembre 2013 @ 23 h 40 min

    Cet échevinage était déjà recommandé par l’Inspection des Affaires Judiciaires sous Mr BADINTER, Garde des Sceaux, puis par le rapport parlementaire COLCOMBET-MONTEBOURG. Cette arlésienne, pouvant éviter les conflits d’intérêts juge et partie étant aussi l’objet du livre de l’ex-inspecteur Antoine GAUDINO: La Mafia des tribunaux de commerce, chez Albin MICHEL, en 1998. Un vrai serpent de mer!

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