Black Friday ou Vendredi Noir pour le Français…

Noir c’est noir. Le jour même où François Hollande s’envole pour le sommet de la Francophonie, des grandes enseignes de distribution importent en France le concept de « Black Friday »en droite ligne des Etats Unis, sans même le traduire comme certains magasins québécois qui plus justement parlent de « vendredi fou » pour désigner un jour de consommation intense favorisé par d’importantes remises. Que signifie le noir d’Outre-Atlantique ? Les rues « noires » de monde ? La fin de comptes dans le « rouge » ? Peu importe ! En français, ça ne veut rien dire ! Non content d’imiter une fois de plus un comportement moutonnier américain, on le parle et on le pense confusément en langue étrangère. Curieuse façon d’illustrer la Francophonie, cette réunion de peuples autour d’une langue et des valeurs qu’elle est censée véhiculer…

Saisissons cette occasion de faire preuve de lucidité sur notre langue, le symbole de notre rayonnement, mais peut-être aussi de notre arrogance voire de notre vanité si pleine de nostalgie. Lorsque la flotte et l’armée françaises permettent l’indépendance des Etats-Unis, le Français domine largement l’Europe dont il est la langue diplomatique parlée couramment dans les Cours et enseignée aux enfants des élites. Les Britanniques, depuis leur victoire de 1763, ont pris le dessus dans le monde, mais ce n’est pas définitif et la puissance démographique, économique et militaire de la France aurait eu largement les moyens de gagner la dernière manche, si la Révolution et l’Empire ne les avaient pas dilapidés. De ce prestige, il reste des vestiges réconfortants. La langue française est la seconde langue la plus apprise dans le monde après l’Anglais grâce à 900 000 professeurs. Elle demeure très importante pour la diplomatie, puisqu’elle est toujours langue officielle de l’ONU et avec l’Anglais celle de son Secrétariat Général. Elle est 3e pour le monde des affaires derrière le Chinois, évidemment. Elle peut encore s’enorgueillir d’une progression remarquable, passant de 220 Millions de locuteurs en 2010 à 274 en 2014. La France soutient cette présence par un réseau exceptionnel de 400 Lycées dans 131 pays et de 96 Instituts et 900 Alliances Françaises dans 161 pays.

Pour autant, le volontarisme politique connaît des limites. Si la démographie africaine porte l’usage théorique du Français, et si la tradition internationale le protège un peu, l’objectivité oblige à voir son influence réelle régresser. En tant que langue maternelle, le Français n’est parlé que par 78 Millions de personnes, en quatorzième position, loin derrière le Portugais, mais aussi le Coréen ou le Télougu des Dravidiens. En comptant large, c’est-à-dire avec l’Afrique, il est à la cinquième place, évidemment dépassé par l’Espagnol et le Hindi. Surtout, si son influence directe en Afrique peut offrir des perspectives démographiques, il est préoccupant de voir quelle est la situation des pays qui appartiennent à l’Organisation Internationale de la Francophonie. L’annonce de 77 Etats est impressionnante, mais le Canada compte pour trois, la Belgique pour 2, grâce au fédéralisme. Andorre, Monaco et le Luxembourg font l’appoint pour parvenir à 54 membres. S’y ajoutent 3 associés, dont l’inévitable Qatar, ce grand ami des islamistes. Certes la Suisse prospère en est membre, mais 19 Etats sur les 40 les plus pauvres de la planète font partie des 77. Beaucoup ne brillent guère par une vie démocratique exemplaire. Les coups d’Etat et les autocraties ne sont pas rares dans les anciennes colonies françaises. Sur France Médias Monde, François Hollande a cru devoir souligner l’attachement des Africains à la démocratie et à l’ordre constitutionnel, en prenant l’exemple du Burkina Faso. La démocratie figure, certes, en tête de la Charte et en seconde position du cadre stratégique de l’Organisation et la République Centrafricaine a été suspendue, le Congo Kinshasa mis sous surveillance. Mais la vielle dictature communiste d’Hanoï ne pose apparemment aucun problème. Au cours de cette réunion qui se déroule au Centre de conférences de Diamniadio, la coûteuse réalisation de l’ex-Président Wade, la France tentera d’exercer ce qui lui reste d’influence. La politique, la croissance économique et le développement durable l’emporteront sur la promotion de la langue française, laquelle est à l’évidence sur la défensive dans toutes les communications internationales. Sur le plan scientifique et technique, c’est une affaire entendue. Mais, récemment encore, le représentant de l’OIF auprès des Nations Unies est intervenu pour défendre l’emploi du Français dans les opérations de Maintien de la Paix. Dans de nombreux domaines, le rouleau compresseur de ce qu’Etiemble appelait le « sabir atlantique » est en marche. Une langue est toujours l’expression d’un pouvoir politique. Il est irréaliste de défendre l’exception culturelle si on n’assure pas l’indépendance politique.

Mais la menace la plus grave est celle qui est subie par la double invasion du « franglais » et de la culture américaine. Il y a quelques années Christian Combaz écrivait à ce propos : » Les Américains sont de grands adeptes du vivre-ensemble… surtout quand ils sont chez les autres », des voisins qui lorsqu’ils vous rendent visite vous disent quelle chaîne il faut regarder. Subrepticement, les mots américains et les idées qu’ils portent, comme ce « black friday » s’installent. Désormais au lieu d’amplifier, de pousser, de promouvoir, on va « booster ». La langue se parsème de ces mots-réflexes si nécessaires aux échanges sociaux : « cool », « super ». Les tournures de phrases traduisent sournoisement la syntaxe, la musique de la langue. « N’y pense même pas… Tout est sous contrôle » sont des manières de penser anglais en Français. En 1994, Jacques Toubon avait initié une Loi relative à l’emploi de la langue française, afin de la protéger contre l’invasion et d’obliger à son emploi. Une Commission Générale de la Terminologie est parvenue notamment à imposer des mots français à la place des néologismes d’importation, « logiciel » plutôt que « software », mais le Conseil Constitutionnel a raboté la Loi au nom de la Liberté d’expression : la publicité, la mode, les médias ont ouvert les vannes … Et les Français vont s’approvisionner au « drive » dans leur voiture allemande, vantée dans la langue d’origine.

La langue est à la fois un signe et un outil de la puissance. La France peut se complaire dans son pré carré africain. Elle peut entre deux « French bashings » anglo-saxons se flatter de la part de marché qu’on lui octroie autour de la « French Touch », mais « last but not least », elle doit surtout veiller à son indépendance et aux moyens de celle-ci.

Related Articles

13 Comments

Avarage Rating:
  • 0 / 10
  • Alex , 30 novembre 2014 @ 18 h 46 min

    Ne serait-il pas nécessaire de sortir des constructions politiques, nationalistes et féodales des langues, pour construire les langues autour des besoins identifiés par l’anthropologie, par les neuro-sciences et par la philosophie ?

    Vous donnez l’exemple de cette idée : « N’y pense même pas… Tout est sous contrôle ».

    Mais il ne faut pas confondre l’idée et l’outil linguistique qui permet de l’exprimer !

    “N’y pense même pas… Tout est sous contrôle” est une phrase française et non anglaise !

    Il ne faut pas confondre l’outil (la langue) et l’idée que l’on diffuse avec l’outil !

    N’est-il pas temps de demander aux langues, de ne plus être les outils d’idées spécifiques ?

    N’est-il pas temps de déposséder les Etats-unis de l’anglais pour que l’Humanité entière puisse utiliser cette langue, comme un simple outil non porteur d’idées spécifiques, mais permettant de toutes les exprimer ?

    Ne faut-il pas remplacer l’académie française par un institut de neuro-sciences et de philosophie, pour construire les langues qui permettraient d’utiliser autant le cerveau droit que le cerveau gauche ?

    Prenons un simple exemple avec la position des mots dans une phrase :

    En français nous disons “Vendredi noir” et en anglais nous disons “Noir vendredi”.

    Les neuro-sciences pourraient par exemple décider que pour permettre un bon développement des capacités neuro-congnitives de l’Homme, il faudrait parler une langue multimodale qui ne tiendrait pas compte de l’ordre des mots et qui permettrait à un locuteur de placer les mots dans une phrase, dans l’ordre de son choix.

    Ainsi en neo-français nous pourrions indifféremment dire “Noir vendredi” ou “Vendredi noir”.

    Il est évident que les langues ne se décrètent pas et qu’elles doivent naitre d’un usage organique, sans quoi nous perdons leur essence même (erreurs des réformes de l’éducation nationale par exemple), mais à condition que les gens maitrisent parfaitement les termes d’une langue, il est donc pertinent de tenter pour ces gens de faire évoluer ces langues.

    Il est donc faux de prétendre que l’anglais serait la langue des sciences, car toutes les langues étant les héritages de divers atavismes (hérédité des idées) et toutes les langues étant encore des “langues objet” héritées de la préhistoire (écriture et paradigme cunéiforme), en réalité les sciences n’ont pas encore inventé la ou les langues qui leurs permettraient de s’épanouir.

    Il ne s’agit pas d’inventer de nouvelles langues comme l’espéranto par exemple, mais il s’agit d’inventer de nouvelles formes de codes de communication orale et écrite.

    Peut-être par des codes mathématiques (comme un code morse inséré dans une langue) et par des “soncepts” (chaque son serait l’expression d’une brique conceptuelle élémentaire), pour que la langue permette d’exprimer plusieurs niveaux de paradoxes ou de nuances en même temps, ce qui est notamment un besoin de la physique quantique.

  • Jean Bon , 1 décembre 2014 @ 1 h 34 min

    La survie de la langue francaise passe certainement par plusieurs points. Sans meme disputer de l’importance des positions culturelle, economique, strategique, artistique, il en est une de premiere importance, ce me semble. Que les francophones parlent et ecrivent correctement en Francais, avec un vocabulaire suffisant pour ne pas etre grotesques.

    Il est evident que l’environnement est d’importance, et pour les adultes ils sont responsables de l’exemple, et de la transmission de leur culture, si jamais ils en ont une.

    L’Education Nationale en France est le mandataire de cette mission.

    Le resultat est un DESASTRE.
    Premier constat.
    Donc premiere mesure a prendre.
    Avant de gloser sur ceci ou cela, commencons donc par le plus urgent, le plus criant, le plus EVIDENT…

    Si le but est d’obtenir des resultats evidemment, et non de perorer comme des volailles en basse-cour, ce qui est TRES Francais, assuremment.

    Le Francais, seules les Elites ( de tous les pays francophones ) le parlent correctement. C’est donc, de facto, une langue comme elle a toujours ete, a destination des Elites.
    Pour le commun, que ce soit en France, un Francais de chiottes, en Belgique ou au Canada, des sabirs matines de 50% de Germain ou de Saxon, c’est ainsi que je l’exprimais d’entree, un DESASTRE…

    Merci de votre attention a me lire.

  • Jean Bon , 1 décembre 2014 @ 1 h 36 min

    “parlent et ecrivent correctement LE Francais” erratum

  • amolevitch , 1 décembre 2014 @ 11 h 31 min

    <> : charabia !
    Dites plutôt : …a été l’ auteur , ou, à l’ origine d’une loi…
    Le Conseil Constitutionnel a désavoué <> au profit de <> AU NOM de la Liberté d’expression ???
    étonnant non ?

  • sefg , 1 décembre 2014 @ 11 h 34 min

    Sujet de réflexion: Est-ce que parler français rend socialiste ?

  • François2 , 1 décembre 2014 @ 11 h 52 min

    Pour aider l’enseignement du Français par les religieuses au Vietnam, écrire : [email protected]

  • Papé , 1 décembre 2014 @ 14 h 27 min

    Bientôt , certains , vont avoir honte de parler et d’écrire correctement le français !
    Il est exaspérant de constater à quel point de bêtise les inconditionnels anglophiles
    et anglophones en sont arriver .
    J’ai vu ,dernièrement, des pompiers secouristes intervenir lors des graves inondations
    dans le midi ,avec des tenues portant le mot “secours” orthographié en anglais “rescues” !
    Je vois des transports spéciaux intitulés ‘ long vehicle” au lieu de véhicule long !
    Je vois toujours ,et de plus en plus, du “made in France” au lieu et place de “fabriqué en France ”
    à la longue , je fini par me dire que les anglophones sont certainement trop primaires car ils
    ne sont pas capables de traduire deux mots de français ,alors que nous sommes , nous
    francophones , capables de lire , de traduire et de supporter leur jargon américanoÏde , à longueur
    de temps !

Comments are closed.