Lettre ouverte aux forces de l’ordre

par Pierre-François Ghisoni*

Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs,

Je suis en résistance. Résistance polie mais ferme, et argumentée. C’est mon droit, car la libre opinion est prévue par tous les textes qui s’appuient sur le mot « démocratie », libre opinion, ainsi que son expression, en privé, et en public.

L’avantage d’être en résistance est que l’esprit s’en trouve aiguisé. Ainsi des questions nouvelles surgissent auxquelles on n’avait pas pensé. Car être en résistance, ce n’est pas être un opposant forcené, monomaniaque, mais aussi se préoccuper de celui qui est en face, le policier (j’emploierai le terme « policier » par commodité, en incluant gendarmes, CRS ou autres, car cela ne change rien aux questions). Cela paraît étonnant, mais c’est ainsi.

Par exemple, je me demande quelle peut être la réflexion personnelle d’un policier qui rentre le soir ou au matin, fatigué. Il n’a pas reçu de cocktails Molotov, de jets de pierre, de frigos tombant des étages, d’insultes dégradantes, voire de tirs de différents calibres, de menaces personnelles, ni portant sur sa famille, ses enfants. Il n’a eu en face de lui que des familles quelconques, femmes, enfants, poussettes, personnes âgées, hommes tranquilles, laïcs ou prêtres. Et il a pourtant usé de matraques et de gaz envers ces personnes. Il a chargé, frappé, recommencé.

Lui ou un autre, un collègue, un ami peut-être ? Que pense-t-il, ce policier qui est peut-être rentré par idéal dans ce métier ? Il rêvait de mettre en prison des malfrats, de protéger les faibles, de les secourir au besoin… et il les frappe. Car tout de même, il est le plus fort, casqué, masqué, blindé, équipé de protections en kevlar, d’armes de tous niveaux, l’ensemble valorisé par un entraînement perfectionné.

Oui, je me demande ce que pense ce policier en rentrant chez lui, quand sa femme (mettre le sexe de son choix) lui demande si la journée s’est bien passée, s’il est content de son travail ? Oui, je me demande quelles sont ses pensées, lorsqu’il se regarde dans la glace ? Quelles seront-elles lorsqu’il fera le bilan de ces journées, de ces années, de ses rêves enfuis (oui, chacun fait des bilans, on n’y échappe pas, quels que soient les ordres d’un supérieur, et c’est bien plus difficile que le classique entretien d’appréciation annuel des fonctionnaires).

Je me demande aussi ce qu’il répondra à ses enfants. Il a des enfants, ou il veut en avoir ce policier. Car, au fond de sa conscience, est-il vraiment d’accord pour combiner des pseudo-mariages, abolir les liens de filiation, créer des filières de ventres à louer, et autres chimères sociales, tout cela pour satisfaire des politiciens dépassés ?

Oui, que leur répondra-t-il, à ses propres enfants, lorsque les petits camarades d’école leur montreront sur les réseaux sociaux les images de gazages d’enfants comme eux ? Va-t-il leur dire qu’il est fier de son travail ? Que ces enfants étaient méchants ? Et les vieilles personnes de méchants papys, de méchantes mamies ? Ou va-t-il leur demander de ne pas dire ce que fait son papa, sa maman ? Leur demander de mentir ?

Il va falloir les regarder droit dans les yeux, sans mentir. Ça va être dur. Et si l’un des enfants gazés se trouve par hasard dans la même classe, si c’est leur meilleur ami, leur interdira-t-il de le fréquenter ? Pas facile comme question.

Oh ! Oui. Il peut répondre que c’étaient les ordres. Et qu’on doit obéir aux ordres. Mais les enfants posent toujours des questions. D’une certaine façon ils sont aussi en esprit de résistance. Ils trouveront toujours d’autres questions. Par exemple : « Quand on frappe, c’est qu’on n’aime pas.  Alors les ordres disaient qu’il ne fallait pas aimer les petits enfants ? Alors, tu n’aimes pas les petits enfants? Et moi, dis, est-ce que tu m’aimes ? Parce qu’ils ne m’ont pas fait de mal, ces petits enfants ? Et papy et mamie, tu ne les aimes pas, non plus ? »

Et ce ne sera qu’un début. Alors voyez-vous, mesdames, mesdemoiselles, messieurs de la police, l’esprit de résistance, c’est aussi se préoccuper de l’importance, de la nécessité, de la valeur morale d’un ordre, surtout lorsqu’on n’a pas d’ennemis en face de soi, mais des foules désarmées. C’est d’abord une valeur morale, et personne n’y échappe.

Vous ne pourrez pas éviter d’y penser. Ou alors, me serais-je trompé du tout au tout ? Auriez-vous déserté le camps des Hommes ?

Je ne veux pas y croire. Vos enfants non plus.

*Pierre-François Ghisoni (blog) est écrivain et éditeur.

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54 Comments

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  • 0 / 10
  • courant jean yves josé , 2 avril 2013 @ 17 h 30 min

    toutes ces forces de l’ordre m’ont semblé très embarrassées et même désemparées au contact de toute cette foule de protestataires atypiques.

  • sainte lance , 2 avril 2013 @ 22 h 14 min

    Trés belle lettre,

    Mais ne pas se contenter de la lire, mais continuer à agir pour empêcher le texte de passer définitivement.

    Il faut durant le débat au Sénat écrire, adresser des mails, aux sénateurs, notamment écologistes (ils ne sont que 12, mais la majorité gouvernementale est de 6) afin de bien leur faire comprendre que l’avenir de la France, mais aussi et surtout de leur mandat dépendra de leur vote sur cette loi.
    Faire de même avec les conseillers régionaux, généraux, municipaux, ils sont les électeurs directs des sénateurs, et il y a des élections municipales en 2014.

    Svp, NDF donnez à vos lecteurs les noms et adresses mails de toutes ces personnes pour que vos lecteurs les inondent dans les jours à venir de mails…qui leur feront réfléchir sur l’avenir de leur mandat.
    Ils craignent plus les effets de tels courriers que des manifs qui pour la plupart étaient lointaines pour eux.
    Allez un bon mouvement si vous désirez que la loi Taubira soit retoquée !!!

  • Aaron , 3 avril 2013 @ 0 h 26 min

    Vous pouvez encore rêver…Les participants à cette manifestation n’étaient pas les indésirables qui peuplent les zones de non-droit…..Donc pas de poursuites.

  • ARRAULT , 3 avril 2013 @ 17 h 25 min

    Pour Chimène, afin de diffuser mon texte par mail, il faudrait que vous me communiquiez le vôtre. Meric.

  • François , 30 mai 2013 @ 14 h 10 min

    ” On obéit aux ordres”! Bien sûr, vous êtes là pour cela. Mais faut il vous rappeler qu’à Nuremberg, des hommes furent condamnés à la pendaison pour avoir ” obéi aux ordres”? Bien sûr, ce n’étaient pas les mêmes ordres et les conséquences (ou les risques ) étaient sans rapport avec ce qui se passe aujourd’hui. Mais le principe reste le même! Il appartient à chacun de décider si les ordres qu’on lui donne sont légitimes ou non, tout en devant en assumer les conséquences éventuelles, car refuser un ordre ne va jamais sans conséquences. Et contre ce qui peut vous rabaisser au niveau de la bête, vous serez toujours seul! Ayant été militaire pendant 25 ans, je mesure votre désarroi et je connais vos doutes. Mais c’est vous qui vous jugerez, pas moi.

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