Contrairement à l’apparence, la politique en France, c’est la guerre. (I) La Défaite

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La droite française c’est Napoléon à Waterloo. Elle attendait Fillon comme lui, Grouchy. Ce fut Macron qui arriva comme Blücher. Les élections présidentielle et législatives de 2017 seront étudiées comme un exemple rare de retournement de situation imprévisible. La France s’acheminait tranquillement vers le modèle de l’alternance entre deux forces qui domine dans beaucoup de grandes démocraties avec plus ou moins de netteté en fonction du mode de scrutin retenu pour l’élection essentielle, souvent les législatives. La balance fonctionnait depuis 1981. La particularité française est d’être une démocratie parlementaire avec une présidence forte, et non un régime présidentiel à l’américaine.  En France, il y a un Président, élu au suffrage universel, qui détient de vrais pouvoirs dans un système où l’exécutif l’emporte sur le législatif. Les Français ont donc logiquement pris l’habitude d’élire une majorité de soutien au Président. Lorsque son mandat était plus long que celui de l’Assemblée (qu’il peut dissoudre), le Premier Ministre pouvait détenir l’essentiel de l’exécutif, dans une opposition délicate et maîtrisée avec le Président. Avec la réduction du mandat présidentiel à cinq ans, ont disparu le risque d’une cohabitation ou celui d’une dissolution. Ceci a conduit à aligner le Chef de l’Etat, arbitre et garant du long terme, et la majorité parlementaire qui détermine la politique du gouvernement. Ce n’est pas l’esprit de la Constitution qui sépare les deux ordres. Cela s’est produit en 2002, 2007 et 2012. La droite pensait en bénéficier en 2017. Macron, l’élu par surprise, espère que le processus jouera à son profit et n’a pas hésité à réduire le Premier Ministre à être l’opérateur des arbitrages, bref le Chef d’Etat- Major, sinon le « collaborateur », comme Sarkozy avait dédaigneusement qualifié Fillon.

C’est une lecture de la Constitution simpliste qui conduit à un paradoxe illusoire. Le Général de Gaulle n’aimait pas les partis. Pour lui, le Chef de l’Etat devait être un homme face au peuple. D’une certaine manière, l’alternance partisane et les primaires auxquelles s’étaient ralliés la gauche et la droite avaient au contraire instauré un régime des partis, dont les prétendus héritiers du gaullisme qui siègent encore chez Les Républicains, s’étaient satisfaits. Or, c’est leur adversaire et vainqueur imprévu qui débarque comme le sauveur du peuple. Ce paradoxe est toutefois illusoire dans la mesure où de Gaulle souhaitait que le Président, par son prestige, soit au-dessus de la mêlée des partis, et qu’il bénéficie d’une confiance à la mesure de son rôle de défenseur des intérêts supérieurs du pays. Quant à la politique quotidienne, elle reposait bel et bien dans son esprit sur le gouvernement et sa majorité. La situation actuelle est aux antipodes d’une conception gaulliste. D’abord, le personnage élu est le contraire de l’homme d’expérience en qui une large majorité place sa confiance parce qu’elle l’a vu à l’oeuvre. Son succès est au contraire fondé sur la nouveauté et sur le rejet des « autres » plus que sur l’autorité naturelle. Un physique avantageux et une élocution facile sont des qualités de mode, non de durée. Par ailleurs, beaucoup de ceux qui le soutiennent vraiment voient en lui un expert en économie, progressiste sur le plan sociétal. Ce choix est loin d’être celui de tous les Français. C’est la raison pour laquelle il serait assez cohérent que les Français qui souhaitaient majoritairement une alternance à droite se reprennent et profitent des élections législatives pour permettre celle-ci en plaçant à Matignon l’homme de la situation et en laissant le décoratif contre-emploi à l’Elysée. Au microcosme médiatique, l’Elysée. Au peuple, le pouvoir de ses représentants !

L’enthousiasme délirant, mais pas nécessairement gratuit, des médias pour un homme qui fait tellement partie de leur microcosme et la légèreté latine des Français qui succombent facilement, dans les grandes villes branchées, aux effets de mode peuvent cependant donner à ce président sa majorité. Ce coup de Trafalgar pour la droite nous ramène à la guerre. L’élection attendue comme une alternance de plus se déroule en fait comme la réussite d’une stratégie qui a brisé les codes et vaincu de vieux Etats-Majors lents à la manoeuvre et engoncés dans leurs habitudes. L’alternance est en principe fondée sur l’opposition entre une droite conservatrice et une gauche progressiste, le progrès des uns étant déclin et décadence pour les autres. La tradition nationale a toujours amené la droite française à être timidement conservatrice. Le mode de scrutin proportionnel étant stupidement ou malignement instillé dans certaines élections, est apparu le Front National. Celui-ci affaiblissait la droite en divisant ses suffrages, mais captant de nombreuses voix populaires, il réduisait aussi la gauche. Ce parti, le premier par son nombre d’électeurs et le dernier par celui des élus, est donc devenu  le jouet des deux autres. La stratégie des présidentielles tourne autour de lui depuis 2002. La stérilité des politiques suivies par la gauche et la droite gonflait ses scores, mais la stigmatisation forcenée des médias à son encontre lui interdisait le pouvoir. Il s’agissait donc, ou de se retrouver face à lui au second tour avec la certitude de gagner, soit de reprendre ses thèmes conservateurs pour siphonner ses voix. Sarkozy avait préféré cette voie en acceptant les critiques et les condamnations. La plupart du temps, la droite a opté pour la première solution. Fillon a laissé l’immigration et la sécurité au Front National en espérant bien se retrouver face à lui au second tour. C’est ainsi que Les Républicains avaient raflé deux régions à la gauche en 2015. Cette attitude tactique, drapée dans la défense des prétendues valeurs de la République, oubliait ce qu’avait été le RPR conquérant des années 1980. Elle ancrait son électorat perdu dans un vote FN et truffait les rangs des Républicains de « progressistes sociétaux » comme NKM, Riester et quelques autres. Elle préparait  la troisième voie qu’elle comptait éviter en glissant à gauche. Gribouille n’aurait pas fait mieux. Cette troisième voie a surgi au moment où on ne l’attendait plus. Née de l’entourage d’un Président Hollande unanimement jugé calamiteux, elle a inversé l’image physique de celui-ci, a prospéré sur la dureté du programme de Fillon, et a triomphé grâce au coup d’Etat médiatique du « Pénélopegate » dont on voit aujourd’hui qu’on ne parle plus guère tandis que les « affaires » qui entourent le ministre Ferrand sont traitées avec retenue. La manoeuvre guerrière a été simple : préparation d’artillerie médiatique pour anéantir le candidat dangereux du premier tour, et promenade militaire lors du second avec le ralliement de ceux qui , chez Les Républicains, avaient déjà adhéré, et parfois depuis longtemps, à cette troisième voie. Quant à ceux qui avaient vu le danger et défendu l’idée que la vraie droite ne devait pas avoir d’ennemi à droite pour être conservatrice et populaire, c’est-à-dire majoritaire, ils ont été marginalisés. Il est difficile à des stratèges aveugles de gagner la guerre.

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