Réfléchir dans la durée, avoir le sens de la pérennité (1/2)

Marc Crapez, vous intervenez régulièrement sur des sites comme Nouvelles de France, Atlantico ou encore Contrepoints. Mais nous ne vous avons jamais présenté à nos lecteurs. Pouvez-vous nous dire qui vous êtes vraiment ?
Pas un produit de série. J’aborde de nombreux domaines : politique, économie, sociologie, géopolitique… Et de façon éclectique : je ne me contente pas d’occuper une niche, une part de marché ou un créneau « néo-réac », « libéral », « souverainiste »… Je ne cible pas l’adhésion d’une clientèle prédéfinie en flattant ses a priori. Je propose à des lecteurs armés de leur entendement singulier de faire travailler leurs méninges. Ça peut irriter.

« Si je tombe sur une pomme, je chercherai, jusqu’à preuve du contraire, un pommier plutôt qu’un abricotier. »

J’essaye de réfléchir dans la durée, avoir le sens de la pérennité, défricher de nouveaux domaines, forger des notions inédites, élaborer une refondation intellectuelle. Mais sans tomber dans ce que j’appelle le « dessous-des-cartisme », un prophétisme idéologique consistant à faire croire que l’on dispose de dons extralucides pour dévoiler la face cachée d’un Système.

Ce point est important. La sociologie compréhensive, illustrée par Raymond Aron et Raymond Boudon, est une extension raisonnée du sens commun, qui consiste à expliquer un phénomène social en recherchant d’abord les bonnes raisons que certains ont d’agir comme ils agissent. Pour le dire de façon imagée, si je tombe sur une pomme, je chercherai, jusqu’à preuve du contraire, un pommier plutôt qu’un abricotier…

Quelle est votre principale découverte ?
En histoire, la formation tardive du clivage gauche-droite. En philosophie, la règle du demi-savoir, qui pose qu’entre la connaissance courante et la compréhension élaborée s’étend une vaste zone intermédiaire qui peut être propice aux erreurs de jugement. Elle ne l’est pas forcément, mais le devient lorsque d’aucuns croient devoir procéder à un dédaigneux arrachement dogmatique vis-à-vis du savoir ordinaire.

« Un internaute n’a pas tort de douter de l’idée que le peuple est un ramassis d’ignorants et que seuls les bobos diplômés seraient ‘intelligents’. »

En d’autres termes, la règle du demi-savoir établit que les connaissances courantes et savantes sont séparées par un entre-deux potentiellement désastreux s’il dédaigne le sens commun. En somme, un internaute n’a pas tort de douter de l’idée « que le peuple est un ramassis d’ignorants et que seuls les bobos diplômés seraient ‘intelligents’ ».

Sur un autre site, je lisais un commentaire d’internaute qui affirme : « M. Crapez est un chercheur institutionnel, voire constitutionnel, et ne risque en aucun cas de chercher en dehors des clous ». En réalité, je suis tout sauf un sorbonnard. Mes découvertes ont fait de moi un auteur à abattre. En tant que libéral de droite hostile au dogmatisme libre-échangiste, je suis suspect de souverainisme aux yeux des intellectuels parisianistes, et coupable de dérive droitière aux yeux de l’extrême-gauche.

Sur Nouvelles de France, vous n’êtes suspect de rien du tout et toujours le bienvenu. Mais revenons à vos propos : pensez-vous être entendu ?
Peu après un entretien où j’opposais l’intellectualisme de gauche bâti « sur l’utopie du progrès en tant qu’impératif moral » au libéralisme de droite qui procède par tâtonnement, tentatives et retouches, Guy Sorman publiait un article où il oppose le libéralisme de droite soucieux d’expérimentation à une gauche persuadée que la condition humaine « doit être améliorée au nom du progrès ». Si je devais toucher des royalties sur le nombre de mes idées qui ont inspiré tel ou tel, je serais riche !

Autre exemple, ma série d’articles contre les mésusages de la notion de populisme. Jean-François Kahn lui a emboîté le pas en dénonçant un usage polémique du mot. Il abandonne même l’idée de Front républicain, qu’il soutenait encore ces dernières années, en expliquant : « Le Front national a seulement deux députés alors qu’il représente presque 20% des électeurs. Je ne vois pas en quoi ce serait un drame qu’il soit représenté par un troisième député ». Je venais de constater, dans le même média, que « l’élection de deux ou trois députés du Front national n’a pas du tout été un drame ».

La fiscalité devient un véritable sujet d’inquiétude pour les Français. Comment expliquer ce réveil un peu brutal et, sans langue de bois, quelles sont les perspectives ?
Les politiques de relance adoptées en 2008 nous ont fait reculer pour mieux sauter dans la crise. C’est en absorbant de temps à autre la potion amère de la rigueur qu’une économie reprend des forces en éliminant le superflu. Car nécessité fait loi. À force de refuser de passer par la case récession, les mauvaises habitudes perdurent. La crise ne joue pas son rôle d’aiguillon. Résultat : pas de licenciements massifs, mais une hémorragie progressive et continue de l’emploi industriel. Car peu de nouvelles technologies porteuses font leur apparition. Peu de nouveaux procédés de rationalisation des coûts sont expérimentés.

« Faire un peu d’inflation. Il n’y a pas d’autre moyen pour que tout le monde mette la main à la poche. »

À partir du moment où un cycle de croissance ne se réenclenchera pas avant plusieurs années, il faut se demander « qui va payer ? » et « comment ruiner le moins de monde possible ? ». Tout le monde devrait être mis à contribution. Il faut avoir une optique libérale. La retraite-chapeau de chez Peugeot n’est plus possible dès lors que cette entreprise avait mendié des aides étatiques. C’est une question de principe. Le libéralisme n’est pas une scolastique sectaire. Je préconise une abrogation des niches fiscales synchronisée à une baisse des impôts. À rebours de ce qui est fait actuellement.

Je préconise également de faire un peu d’inflation. Il n’y a pas d’autre moyen pour que tout le monde mette la main à la poche. À noter que l’absence d’inflation a produit une baisse structurelle de l’or de 50% de sa valeur actuelle depuis un an et demi. Mais avec deux remontées conjoncturelles corrélées à la géopolitique, ce qui est un phénomène nouveau (crises syrienne cet été et iranienne cet automne). En France, la taxe fiscale sur l’or a été portée de 8 à 12% en octobre, tandis que fleurissaient une nuée de boutiques de rachat d’or destinées à détrousser les petites gens.

Comment la mobilisation des bonnets rouges peut-elle continuer ? Quels sont les qualités et les inconvénients de ces mouvements qui échappent aux partis où l’on ne s’indigne plus, où l’on ne réfléchit plus ou l’on ne pense plus, bref qui viennent de la société civile ? Un sondage du JDD montre que les Français rejettent tous les partis, y compris le FN. La dédiabolisation entamée par ce dernier semble en être une des causes. Comment expliquer que les Français se tournent vers la société civile ?
Suite à l’effet traînée de poudre des révolutions arabes, les gouvernants occidentaux ont une peur bleue d’une insurrection 2.0. Hollande a redouté les manifestants anti-mariage gay puis les Bonnets rouges. Mais les actuels Forconi italiens risquent de connaître le même destin provisoire que les Indignés espagnols d’il y a trois ans. Ces mouvements ne savent pas toujours séduire l’opinion publique mondiale via les télés américaines. Ils devraient réclamer sur des banderoles « freedom of speach », ce que savent faire les manifestants du Bengladesh !

« La multitude anonyme des ‘collectifs’ les destine à établir des cahiers de doléances sans offrir d’alternative politique. »

En France, le « 20 heures » reste le grand manitou dont on guette les faveurs car lui seul réenclenche le fameux buzz des réseaux sociaux. Sans cette incarnation, le verbe ne se fait pas chair. Sans cette visibilité télévisuelle, le verbe numérique ne trouve pas de débouchés. Et même avec cette sanctification, l’univers virtuel reste évanescent et volatil, guetté par l’éphémère et l’inachevé. La désincarnation ou dé-physicalisation avive la mémoire courte, l’inattention et l’addiction à une stimulation perpétuelle. La multitude anonyme des « collectifs » les destine à établir des cahiers de doléances sans offrir d’alternative politique. J’ai d’ailleurs forgé le terme de « démocratie téléchargeable ».

Entretien à suivre jeudi sur NDF.fr !

> Tous les papiers de Marc Crapez, ou entretiens avec le chercheur en science politique sont à lire ou à relire ici et .

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2 Comments

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  • Charles , 31 décembre 2013 @ 14 h 09 min

    Plusieurs confusions concernant inflation & déflation:
    Certes,la déflation n’a rien de vertueux du fait des effets induits.
    Donc,oui,de l’inflation serait préférable mais avec de la croissance.
    L’auteur n’aborde pas le dysfonctionnement intrinsèque de l’Euro rigide.
    Il ne mentionne pas la courbe de la parité $/€ sur 11 ans (2002/2013).
    Pour avoir 1€,il fallait au début 0.80$,puis 1.60$,puis 1.35$.
    Pour différentes raisons nous allons vers les 1.40$ puis les 1.45$.
    Compte tenu du sujet abordé,mentionner ces variations était indispensable.

    L’auteur repose son argument économique sur la baisse du prix de l’or.
    Le cours de l’or ayant baissé de près de 50 % sur ces dernières années.
    Il oublie le point fondamental toujours incompris des universitaires en France:
    A savoir,le cours de l’or est manipulé à la baisse depuis 5 ans au moins.
    Cette manipulation comprenant des phases de hausses télécommandées.

    Nous revenons au point central,mentionné a nouveau par Emmanuel Todd.
    L’Euro actuel est une absurdité,mouton a 5 pattes pour les uns et 3 pattes ailleurs.
    Il n’y a donc aucune reprise à espérer dans les pays latin du Sud (donc catholiques)
    dont l’économie est a dominante “organique” ou mixte (organique & minérale)
    par opposition aux pays du Nord avec une économie à dominante minérale.
    Par organique on entend la matière vivante (animale et végétale)
    Par minérale,on entend la matière fossile inerte (métaux,roches,pétrole,gaz etc).
    certes,il existe une économie agricole en Allemagne comme au Danemark .
    En Allemagne,la valeur relative du monde organique est marginale face au minéral.
    La valeur étant mesurée en part du PIB.

  • Charles , 31 décembre 2013 @ 14 h 26 min

    Cette distinction entre économie organique & minérale est
    nécessaire pour anticiper les variations de productivité sur la grande durée.
    Par productivité on entend la valeur ajoutée mensuelle produite par un opérateur.

    Il se trouve que le potentiel de variation (croissance) de productivité
    n’est pas de même nature selon que l’on se trouve
    dans un domaine organique ou minéral.

    Si je fabrique des olives ou du vin,au fil des ans,mon niveau de productivité
    restera confiné dans certaines valeurs.De plus,je chercherai à valoriser
    ma production en utilisant des méthodes “non productivistes” (ex vin Biologique).

    Si je fabrique des voitures haut de gamme,au fil des ans,mon niveau de productivité
    n’a aucun plafond quantitatif,puisque je peux toujours faire plus,
    du simple fait de l’inertie de la matière minérale.
    Par exemple,je pourrai remplacer l’acier simple par des aciers “intelligents”
    à mémoire de forme,cohabitant avec des dérivés du carbone (ex Airbus 380).

    Il se trouve que le niveau moyen en productivité d’un pays donné
    est en lien direct avec le pouvoir d’achat de la monnaie de ce pays.

    Ceci pour démontrer que l’euro monnaie unique et rigide
    constitue une équation absurde si nous continuons à l’imposer
    à des économies pays qui sont structurellement divergentes.
    Les économies à dominante organique et les économies a dominante minérale.

    Il faut donc convertir l’euro monnaie unique en monnaie commune.
    Ce qui implique la restauration des monnaies nationales sur une parité de 1/1.
    Puis des ajustements monétaires entre elles.
    Exemple,un euro franc à parité avec le $ et un euro DM à 1.35$….
    La transition étant cependant un exercice complexe et délicat mais jouable.

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