Une grosse louche de mobilité inclusive

J’ai évoqué le sujet dans un précédent article sur les taxis en zones rurales : l’État et nos frétillants élus à sa charge se penchent actuellement sur « les mobilités », terme vague recouvrant toutes les problématiques posées par les infrastructures routières, ferroviaires, les accès à celles-ci et, bien sûr, la non-réforme de la SNCF. Et alors que s’approche le moment où il va bien falloir voter cette loi et toute l’avalanche de sucreries qu’elle apporte, la presse nous offre un petit aperçu de ce qui nous attend. Au coin du bois. Avec un gourdin.

C’est ainsi qu’on découvre, grâce à un sondage d’une pertinence stupéfiante, que cette mobilité est une composante indispensable à la qualité de vie des Français : oui, pour ces derniers, le fait de ne pas pouvoir bouger ou de se retrouver coincés au milieu de nulle part sans pouvoir en sortir constitue – et c’est une vraie surprise – un amoindrissement regrettable de leur qualité de vie. Mieux encore, on découvre que certains Français ont des difficultés à se mouvoir, soit qu’ils sont handicapés, soit qu’ils ne sont pas assez riches pour se payer le moyen de transport idoine.

De l’argent, du temps et des moyens ont été mobilisés pour cette conclusion. Fichtre.

L’étonnement ne s’arrête pas là lorsqu’on apprend ensuite que ce sondage a été commandé par le « Laboratoire de la mobilité inclusive », bidulotron émanant de l’accouplement quelque peu incestueux de grandes sociétés comme Total, de petites startups subventionnées comme Wimoov (le nom, navrant, n’a pas été changé), des associations caritatives et, bien évidemment, des agences et ministères d’État. Le sujet est d’importance, vous dit-on. Il fallait donc bien ça.

L’émerveillement qui s’empare du lecteur découvrant ce truc-machin financé on ne sait pas trop comment ne s’arrêtera pas là puisqu’après ces découvertes palpitantes, il lui faudra comprendre ce qu’est cette « mobilité inclusive » promue avec une telle humidité par ce « laboratoire » et une presse commodément acquise à ce sujet ; et là, notre lecteur sera bien en peine de trouver une définition précise puisqu’ici joue à plein l’effet chaleureux de termes douillets, d’images colorés, de textes presqu’agressivement niais et des concepts flous, mous et englobants comme le serait un caramel mou de 800 tonnes dégoulinant sur lui.

S’il parvient à s’extirper de cette gangue sucrée, il pourra aussi aller voir le « Programme des 5èmes Rencontres de la Mobilité Inclusive » qui s’est tenu à la Cité Internationale Universitaire de Paris ce mardi et qui ont offert l’occasion de découvrir comment on peut cramer une journée à profiter d’un « Cocktail déjeunatoire » pour parler de « mondes en transitions » et d’autres frétillances mobiles et inclusives… Pour peu qu’on ne se retrouve pas coincé dans une grève SNCF.

C’est ballot, mais la SNCF (qui a eu le bon goût de ne pas être membre de ce « laboratoire ») n’est pas très inclusive actuellement question mobilité, ce qui donne un aspect franchement cocasse au programme proposé qui se doit de fournir des alternatives à base de bus, de voitures et de tous ces moyens de transport pas forcément inclusifs (pleins de prout au diesel mais opérationnels, eux).

L’idée de toute cette mousse numérique semble de faire passer l’idée qu’il existe un réel problème sur le territoire français : tout le monde n’est pas en mesure de se déplacer comme il le veut, quand il le veut. Oui, vous l’avez compris, il s’agit bel et bien pour nos « laboratoire » de pousser une idée simple, révolutionnaire et pourtant absolument indispensable à tous : le droit à la mobilité.

Vous n’y aviez pas pensé ? Qu’à cela ne tienne : les principaux membres de ce collectif ont entrepris d’y penser pour vous. Le reste du monde, hors de cet Hexagone rassurant et si bien tenu, s’en passe très bien jusqu’à présent ? Il a tort, et le « laboratoire » se chargera de le leur montrer.

Pour cela, il s’est fendu d’une tribune dans Le Monde qu’il aurait été difficile de passer sous silence tant l’ampleur du douloureux problème y est décrite avec une précision toute chirurgicale : on apprend ainsi qu’« une personne en insertion sur deux a déjà refusé un travail ou une formation pour des problématiques de mobilité ».

Cette « problématique de mobilité » est un vrai souci puisqu’elle couvre probablement autant l’absence de mélange deux-temps dans le solex que l’impossibilité d’obtenir un prêt pour acheter une voiture (ou un tracteur, après tout, soyons inclusifs) en passant aussi par les sommes mobilisées pour un abonnement TER ou RATP qui se traduira par un service minimal, d’une ponctualité approximative et la surprise plurimensuelle d’une grève ou d’un incident de voirie empêchant tout déplacement.

Dès lors, on comprend que la sphère publique soit mobilisée dès les premiers mots de la tribune, les premiers euros des frais de fonctionnement du « laboratoire » et dès les premiers articles de la loi en cours de préparation. Pour cela, on fera assaut de paragraphes où, dans un tourbillon de vide intersidéral à la crème veloutée de concepts creux, on poussera un « droit à la mobilité » qui permettra à tout le monde de réclamer qui une ligne de chemin de fer, qui un taxi à pas cher, qui un job pas trop loin ou des magasins à portée de trottinette nucléaire électrique.

Ainsi, pour nos laborantins mobiles et inclusifs, le droit à la mobilité permet – je paraphrase à peine – d’engager « une réorientation fondamentale de la politique de transport » en s’extrayant de « l’obsession de l’infrastructure » (comme, par exemple, cette compulsion morbide à produire de la LGV un peu partout à grands frais ?) pour se concentrer sur les besoins de l’usager qu’on n’aura surtout pas l’audace, cependant, de renommer « client » parce que faut pas pousser tout de même. Ce nouveau droit éco-conscient et légèrement duveteux permettra à chacun « d’effectuer tous ses déplacements nécessaires, par tout moyen, et de manière intermodale » : youpi, le road-trip sur Mars sera bientôt à la portée des Français !

Et comment parvient-on à ce résultat ? Trop fastoche, puisqu’il suffit que l’individu soit « placé au centre de la législation et des politiques de mobilité », entre la fiscalité compréhensive, la sécurité vigilante et la discrimination positive et rafraîchissante, je présume.

Il faut le lire pour le croire, mais c’est pourtant bel et bien réel : des moyens, du temps, de l’argent, des énergies (considérables) sont donc actuellement consacrés à faire en sorte que les gens puissent se déplacer comme ils le veulent, et tout cela semble absolument devoir se placer sous la responsabilité d’un « service public de la mobilité inclusive » (oui, oui, vous avez bien lu).

Alors que, partout dans le monde, le marché libre est mis directement à contribution pour trouver, tous les jours, des réponses pratiques et peu chères à ces problèmes de mobilités – doit-on rappeler l’aventure d’Uber et son impact sur les VTC et les taxis ? Doit-on vraiment épiloguer sur le résultat en terme de prix de l’ouverture à la concurrence des marchés de l’aérien ? – une partie de la France semble avoir opté pour l’autre solution possible à base d’argent public, de lois, de contraintes, d’encadrements aussi précis que les définitions du « laboratoire ».

La loi n’est encore ni publiée, ni votée qu’on sent déjà le fumet délicat de l’interventionnisme tous azimuts, des projets à la con financés par l’ouverture de nouveaux sprinklers à pognon public et de l’avalanche de contraintes et d’encadrements qui vont suivre.

Aaah, tout ce libéralisme, toute cette liberté, quel bonheur !

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