État Providence et culture

Comment la culture française a été détruite par le marxisme

Gramsi avait raison, et Louis Pauwels n’a cessé de le répéter : la culture est le meilleur véhicule de la révolution politique.

J’ai participé la semaine dernière à un colloque tenu à Vienne à l’initiative du Hayek Institute et de l’IREF (institut jumeau de l’ALEPS). Nous Français étions bien placés pour parler du sujet puisqu’on sait que la France est la capitale mondiale de la culture et des droits de l’homme. Ce patrimoine nous aurait été transmis par l’Ancien Régime et la Révolution.

Nous savons ce que notre pays doit à l’État. Sans remonter jusqu’à Clovis qui a valu à la France naissante d’être la fille aînée de l’Eglise, François Ier invitant Leonard de Vinci, Richelieu créant l’Académie Française, Louis XIV mécène des grands classiques, Napoléon père du Code Civil, le 2ème Empire reconstruisant Paris, la 3ème République nous léguant la Tour Eiffel, le Trocadéro, le French Cancan et les impressionnistes, enfin plus près de nous la 5ème République nous dotant en 1959 d’un ministère de la culture, et le génie de Malraux prolongé à partir de 1981 par celui de Jack Lang : voilà un grand héritage !

Oui, mais ce bref et malveillant historique ne concerne que les relations entre État et culture, et elles ne sont pas l’apanage de la France ; les princes florentins, les Empereurs de Vienne en ont fait pas mal aussi. Il n’en demeure pas moins que nul pays n’a cultivé l’État avec autant de passion que le nôtre. Et la culture de l’État explique évidemment la culture d’État.

Mais les choses sont-elles différentes avec l’État Providence ? Il est apparu plus près de nous, créé par Bismark sans doute, mais promu et diffusé par Beveridge. Dans les deux cas, il s’est agi de protéger les peuples contre les dangers de la révolution prolétarienne prônée par le manifeste communiste de 1848. Bismark voulait s’attirer les bonnes grâces de la « classe ouvrière » et pour ce faire défendre les salariés contre l’indifférence des patrons aux conditions de vie de leurs salariés. L’État prenait en mains le dossier social qui ne pouvait pas être ramené aux seules forces du marché du travail. L’État consolidait son pouvoir en désamorçant la lutte des classes. Chez Beveridge l’approche était différente : le socialisme anglais (avec la Fabian Society) se voulait réformiste et non révolutionnaire (à la différence de l’Internationale dirigée par Français et Allemands). Il visait une large prise en mains de l’État pour effacer les injustices du capitalisme, illustrées par le chômage. Mais il rejoignait le dirigisme bismarkien en instituant la redistribution et en mettant en place la Sécurité Sociale, en charge de la santé et des retraites. C’est finalement le point commun : grâce à la puissance publique il se construit une société plus équitable. J’ai eu un jour une formule qui a été reprise par plusieurs, et je m’en félicite « L’État Providence est la Providence des hommes d’État ». En effet, c’est bien le pouvoir politique qui tire les marrons du feu social. Mais alors quelle est la différence avec l’étatisme ancestral et quasi-universel ?

C’est que le marxisme aura gagné, a déjà gagné la partie (disent les pessimistes). En effet, le cœur de la pensée marxiste est la lutte des classes, née de la propriété privée du capital. Il est frappant de constater qu’en 1891, quelques mois après que Bismark ait quitté le poste de Chancelier de l’Empire Allemand, le Pape Léon XIII a proposé une autre lecture de « la question ouvrière » dans son encyclique fondatrice de la Doctrine Sociale de l’Église Catholique « Rerum Novarum ». Léon XIII, d’entrée de jeu, condamne le socialisme parce qu’il commet une erreur sur la nature de l’homme en niant le droit de propriété. Il insiste sur la promotion de la responsabilité et de la dignité personnelles pour créer des relations sociales harmonieuses. « C’est dans l’homme qu’il faut chercher les normes de la vie sociale ». Il souligne l’importance de la diversité, des complémentarités de la « mise en valeur des différences pour réaliser l’unité fondamentale ».

Par contraste, l’État Providence allant bien au-delà d’une logique assurancielle est devenu spoliation des uns et assistance des autres. Spoliation et assistance sont toutes deux négations de la personne. La justice devenue « sociale » est holiste, elle efface les individualités pour les fondre au mieux en catégories, et au pire en classes sociales. Par subtilité, on justifie la lutte des classes en découvrant qu’il existe une « classe moyenne », que se disputent les partis politiques. Mais la culture de l’État Providence est nécessairement celle de la lutte, de l’opposition des situations. On a cru désamorcer cette lutte imaginaire en imaginant une association capital-travail, grande idée gaulliste, sans se rendre compte qu’on tombait dans le piège marxiste : les intérêts sont opposés, on va donc les réunir.

Progressivement, comme grâce à la liberté et à la propriété privée, le progrès économique a rapproché les revenus et les patrimoines, il fallait bien trouver des images plus modernes de la lutte sociale. Voilà pourquoi elle s’est enrichie de l’opposition entre races, entre peuples, et aujourd’hui entre genres. Parallèlement, comme le mécanisme de redistribution est un jeu à somme négative, chaque joueur s’est pris à accuser l’autre d’avoir confisqué sa part.

Voilà comment une culture française, réputée par sa finesse et sa beauté s’est muée en culture « populaire », massive et collectiviste, fruit de la sociologie marxiste. Et comment, à mon sens, la France tend à devenir aujourd’hui la capitale mondiale de la vulgarité, de l’immoralité et de la violence.

Pourrions-nous être résignés, accepterons-nous la victoire définitive du marxisme et de la philosophie de la lutte, portée à son paroxysme par les postmodernes ? Ce n’est pas mon choix, ni sans doute celui de beaucoup d’entre vous. Continuons à croire dans la vraie nature de l’être humain, qui le porte à la compréhension et au respect des autres, qui ne peut s’accommoder durablement de l’esclavage et de la massification. Et à la barbarie de la lutte répondons par la civilisation de l’amour. « La vérité vaincra ».

> Jacques Garello préside l’ALEPS (blog).

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