Affaire Bolloré : à qui profitent les initiatives du parquet financier ?

La convocation, le placement en garde à vue et la mise en examen le 25 avril dernier de Vincent Bolloré pour des affaires qui se sont passées sur le continent africain montrent comment, hélas, la France, par le moyen de sa justice ou par d’autres, se tire des balles dans les pieds sur ce continent.

Notons d’abord qu’un juge d’instruction ne peut engager ce genre de procédure sans l’accord du procureur et donc de la hiérarchie judiciaire jusqu’au plus haut sommet de l’Etat. Hasard ? Les deux juges d’instruction désignés avaient déjà sévi dans l’affaire Fillon, dont personne n’entend plus parler après qu’elle ait permis au président actuel de se faire élire. Ces juges ont-ils au moins quelque connaissance de l’Afrique ?

L’industriel est soupçonné d’avoir obtenu la concession des ports de Lomé (Togo) et de Conakry (Guinée), il y a déjà huit ans, de présidents qu’il aurait aidé par ailleurs à se faire élire, notamment par des rabais sur les conseils en communication. Les chefs d’ inculpation sont la « corruption d’agents étrangers dépositaires de l’autorité publique », l’ « abus de biens sociaux » et même le « faux et usage de faux ».

Corruption ? Il s’agirait là d’une affaire bien mineure dans l’océan des turpitudes qui caractérisent depuis longtemps les relations des pays industriels avec beaucoup de pays du tiers monde. Jusqu’où faudrait-il remonter pour investiguer sur les relations des grandes sociétés pétrolières avec les gouvernements des pays producteurs, pas seulement en Afrique ? Le pacte du Quincy passé en 1945 entre le président Roosevelt et le roi d’Arabie, récemment reconduit, ne prévoyait-il pas l’attribution du monopole de l’extraction aux sociétés américaines en échange d’une protection politique ?

Au moins la gestion d’un port sert-elle l’intérêt d’un pays. Il n’en est pas forcément de même des juteux marchés d’armement qui permettent à certains gouvernements « amis » d’approvisionner en armes les djihadistes de Syrie, les mêmes qui commanditent des attentats dans nos villes – ou en tous les cas s’en réjouissent impudemment – ou encore de massacrer les populations civiles au Yémen. Beaucoup de chiffres circulent sur ces marchés et ceux qui, chez nous, en profitent. Loin qu’ils soient le prolongement de la politique de la France au Proche-Orient, il semble que ce soit au contraire cette politique qui est le prolongement de ces marchés.

Nous encouragerions, dit-on, des chefs d’état corrompus ou non démocratiques. Au moins n’y a-t-il pas mort d’homme. Que dire de tel autre chef d’État, en Afrique de l’Est, auquel des rapports officiels du Haut-Commissariat aux réfugiés font porter la responsabilité du massacre de millions de personnes et qui est pourtant tenu à Bruxelles ou à Washington pour un « référent » régional ?

Trop peu de Français osent encore s’engager sur le continent africain, au moment précis où il semble décoller et où il y a des places à prendre. Bolloré ou un autre : faut-il que notre justice les décourage ? Une chose est certaine, les concurrents chinois de M. Bolloré, ne risquent pas de rencontrer des problèmes de ce genre.

Faut-il aussi que ces procédures nous aliènent nos amis africains ? Des questions vitales comme l’immigration ne pourront être maitrisées sans leur collaboration.

Les abus de la justice extraterritoriale

Aujourd’hui tout le monde se mêle de tout. C’est en 2000 que, à la demande de l’OCDE, a été introduit l’article 435-3 du Code pénal qui permet de poursuivre des faits de corruption commis sur un territoire étranger. Les États-Unis ont vite appris à s’en servir, non contre leurs propres ressortissants mais contre des concurrents étrangers qu’ils veulent absorber ou éliminer : voir l’affaire Alstom. Nous nous en servons, nous, pour affaiblir nos positions.

Un autre genre d’action très déplorable, que la justice française ne fait rien pour décourager, est la procédure contre d’autres chefs d’État pour « biens mal acquis. » En d’autres termes, la France s’arroge le droit de juger des responsables politiques africains pour les gains illégaux qu’ils auraient tirés de l’exercice de leur pouvoir sans que cela concerne d’aucune manière la France. Inutile de dire qu’aucune action de ce genre ne risque d’être engagée contre l’émir du Qatar ! Notre République française, qui se fait inquisitoriale pour les républiques africaines, est pleine de déférence pour les monarchies absolues du Golfe.

Comme par hasard, on trouve dans ce genre d’action les mêmes avocats qui ont porté les plaintes contre Bolloré – et qui par ailleurs défendent les intérêts de Kagame. Rien de ce qui peut nuire à la France ne leur est étranger.

Il serait temps que nos magistrats – ou nos gouvernants, cessent de se considérer comme les juges de la terre entière ou, s’ils veulent le faire, qu’il n’y ait pas deux poids et deux mesures – ou alors qu’ils poussent, comme les Américains, l’hypocrisie jusqu’au bout en ne visant dans ces procédures que l’intérêt national  !

Roland Hureaux

Related Articles