Le mythe du « couple » franco-allemand

Le 10 Avril, le Président Macron s’est trouvé très isolé à Bruxelles. Soutenu par la Belgique, l’Espagne, le Luxembourg et Malte, il a du se plier à la majorité constituée par tous les autres, face à une Angela Merkel qui copinait ostensiblement avec Thérésa May. Qui plus est, son souhait d’un délai court pour le brexit, et au besoin d’une sortie sans accord, a été pointé par le président de la Commission comme une attitude destinée à attirer à lui des électeurs de droite soucieux de fermeté avant les prochaines élections européennes. Cette journée dénuée des « mamours » habituels entre dirigeants allemand et français devrait dessiller les yeux des Français qui auraient la naïveté de croire que l’Europe a, depuis 1963, une affiche publicitaire, celle du couple franco-allemand : De Gaulle-Adenauer, Giscard-Schmitt, Mitterrand-Kohl. Cette idée de « couple », que les Allemands ne traduisent pas, a commencé par un symbole fort constitué par les deux hommes qui incarnaient le redressement de leur pays après la victoire chèrement payée de l’un et la défaite écrasante et chargée de honte de l’autre. Après une période plus difficile, le second tandem fut marqué par la convergence monétaire, avec le serpent monétaire puis l’ECU, et l’équilibrage des développements régionaux grâce au FEDER. C’était plus concret, mais le rapport de forces n’était déjà plus le même après un plan de relance et deux de stabilisation, côté français. Quant au troisième, la main dans la main, devant l’ossuaire de Douaumont, il restera comme une image aussi forte que trompeuse. Beaucoup de rencontres, et derrière les embrassades, la construction européenne activée par Jacques Delors, avec l’Acte unique, puis le traité de Maastricht conduira à une Union économique et monétaire dont on voit aujourd’hui combien elle a accru les divergences entre l’Allemagne et la France, au détriment de cette dernière. Mitterrand avait marqué une certaine tiédeur face à la réunification, puis s’y rallia. L’explosion de la Yougoslavie se fit au profit de l’influence allemande en Croatie et Slovénie. Il faut être distrait pour ne pas voir que dans le duo, qui ne se détache que superficiellement du choeur des 27, c’est l’Allemagne qui pèse désormais le plus lourd. La réponse de AKK, la nouvelle présidente de la CDU à la lettre aux Européens d’Emmanuel Macron, était claire : il n’est pas question d’une mutualisation des dettes, mais on veut bien partager votre siège au Conseil de sécurité de l’ONU, et par ailleurs, le parlement européen doit se replier sur Bruxelles en abandonnant Strasbourg.

Ce retournement de situation en faveur de l’Allemagne à laquelle il faut ajouter les pays qui sont en phase avec elle sur le plan économique, à l’intérieur comme à l’extérieur de la zone Euro, ont une explication essentielle : l’affaiblissement économique de la France systématiquement accru à chaque passage de la gauche au pouvoir, alors que les sociaux-démocrates allemands ont à leur crédit des mesures qui ont permis à l’Allemagne de digérer l’absorption de la RDA. La permanence du « couple franco-allemand » est donc une illusion. De Gaulle n’avait lancé ce mythe que dans la mesure où la France dominait politiquement et moralement et pouvait espérer dépasser économiquement l’Allemagne. Le but était, non pas de construire une Europe fédérale et supranationale avec la commission comme exécutif et le parlement européen comme pouvoir législatif, mais de réunir les deux pays européens dans un même souci et une même attitude, l’indépendance par rapport aux Anglo-saxons. Seuls la France et l’Allemagne avaient le poids politique et économique pour cette stratégie. L’élargissement et l’approfondissement ont ôté toute cohérence et toute opportunité à cette alliance entre deux Etats, parce qu’ils comptent moins dans l’ensemble et que les mécanismes « bruxellois » ligotent les Etats. C’est pourquoi le « traité d’Aix-la-Chapelle » présenté par Macron comme la relance du traité de Paris conclu entre Adenauer et de Gaulle n’était qu’une opération de communication. De Gaulle lui-même considérait le traité signé avec Adenauer comme un échec. Il n’était pas dupe de la priorité accordée par tous les Etats à leur intérêt national, y compris l’Allemagne. C’est ainsi qu’il confiait à Peyrefitte : « Dans notre attelage, les Allemands ne sont pas le cheval de tête, ça les embête. » Dès qu’Erhard remplaça Adenauer, le « couple » fut moins lié. En 1964, la conclusion du Général était cruelle : » Les Allemands… se mettent complètement à la botte des Américains. Ils trahissent l’esprit du traité franco-allemand. Et ils trahissent l’Europe. » On pourrait dire aujourd’hui que les gouvernants français qui ont maintenu ce mythe du couple franco-allemand alors que la France en tirait de moins en moins d’avantages n’ont pas trahi l’Europe, certes, mais leur propre pays.

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2 Comments

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  • Pierre 17 , 14 avril 2019 @ 3 h 08 min

    J’aime tellement l’Allemagne que je regrette amèrement qu’il n’y en ait plus qu’une !!!

  • Colmar , 14 avril 2019 @ 16 h 08 min

    Le vaincu de 1945 domine son vainqueur français. Il est le bon larbin des usa car il est ficelé par l’Otan et supporte d’être écouté même sous Obama! Cessons de croire ce que serinent les merdias!

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