Bruno Gollnisch, aux amoureux de la France

Allocution prononcée par Bruno Gollnisch, député européen, à l’occasion d’un récent dîner rassemblant divers « amoureux de la France ».

Sollicité pour traiter du patriotisme français, à l’occasion du centenaire de l’Armistice de 1918‚ je me suis demandé si les organisateurs de cet événement n’avaient pas remarqué une séquence de télévision dans laquelle j’affrontais Jean-Luc Mélenchon et Vincent Peillon, ancien ministre socialiste de l’Éducation dite nationale. Il est prétentieux de se citer soi-même, et vous m’en excuserez j’espère. Je leur disais vivement mon indignation de la conception exclusivement idéologique qu’ils avaient de la France : les droits de l’homme (que le regretté Jean Madiran appelait très justement les DHSD : droits de l’homme sans Dieu), la démocratie, etc. toutes définitions qui pourraient aussi bien s’appliquer aujourd’hui ou demain à l’Ouzbékistan, au Guatémala ou à la Tanzanie. Je leur disais que mon patriotisme à moi, était d’une autre nature, que c’était une affection charnelle, et que j’aimais la France comme on aime une Mère.

Une France qui est d’abord un territoire d’une infinie diversité, véritable jardin où il fait bon vivre, nonobstant les catastrophes naturelles comme celle qui vient d’éprouver nos compatriotes de l’Aude. Une France qui est ensuite un peuple qui procède principalement de la fusion des trois composantes européennes celtique, latine et germanique.

Celtique comme ces gaulois dont nous avons hérité la bravoure et le goût de l’indépendance, parfois aussi le goût de l’affrontement et de la néfaste division.

Latine comme ceux par qui nous sommes devenus héritiers de Rome et donc d’Athènes.

Germanique comme ces Francs auxquels nous devons notre nom.

Alliance de ces Francs avec le fonds gallo-romain que sacralise le baptême à Reims de Clovis par l’évêque Rémi, premier sacre de nos rois. Ce n’est pas à vous, qui le savez mieux que moi, qu’il faut dire l’importance de cet apport chrétien à notre civilisation particulière.

Aimer la France c’est aimer ces paysages, ces terroirs, ces clochers et tous les fruits d’une admirable civilisation, exceptionnelle autant par sa diversité que par sa profusion, comme en témoigne l’harmonie du moindre de nos villages.

Le patriotisme français c’est aussi l’amour d’une langue complexe mais admirable par sa clarté, qui fut la langue des cours d’Europe et du monde diplomatique, dotée d’un immense patrimoine littéraire et politique.

Le patriotisme français, le vrai, celui qui n’a pas été dévoyé en nationalisme agressif par l’idéologie révolutionnaire, c’est tout simplement notre piété filiale. Un sentiment d’affection mais aussi un devoir que nous impose le droit naturel, gravé en chaque conscience droite, et proclamé par Moïse dans le Décalogue comme dans le livre de la Grande Étude par Confucius, même en l’absence de révélation. Une convergence que constatait feu le révérend Célestin Lou Tseng Tsiang, Premier ministre de Chine dans les années 20, devenu plus tard moine bénédictin au monastère Saint-André de Bruges.

Je parlais de notre territoire. Il est le seul en Europe à avoir accès aux trois mers : du Nord, de l’Atlantique et de Méditerranée. Le patriotisme français, le vrai, n’a pas honte de l’œuvre des marins, des pionniers, des explorateurs, des missionnaires, des défricheurs, des médecins qui se sont répandus sur les cinq continents et, n’en déplaise aux bien-pensants, y ont laissé une œuvre dont il n’y a pas à rougir comme le savent et le regrettent les populations que nous y avons rencontrées. Le patriotisme français chérit donc nos compatriotes d’outre-mer. Il connaît le prix de ce qui nous reste de notre ancien Empire, confettis épars dans les vastes océans, mais qui nous valent aujourd’hui le deuxième territoire maritime du monde par son étendue.

Dans le Manifeste du premier numéro de la luxueuse revue Globe, son directeur M. Benamou écrivait : « Bien sûr tout ce qui est terroir, béret, bourrée, biniou, bref franchouillard ou cocardier nous est étranger voire odieux. » Et bien, le fond du problème, en effet, c’est que pour les patriotes que nous sommes tout ce qui est terroir, béret, bourrée, biniou, bref français et national, ne nous est ni étranger ni odieux, mais au contraire familier et attachant.

Être patriote français c’est donc avant toutes choses se reconnaître héritier de l’immense héritage que nous ont légué nos légistes, nos savants, nos médecins, nos architectes et bâtisseurs, nos poètes, nos philosophes, nos écrivains, nos peintres, nos musiciens, nos sculpteurs, nos navigateurs, nos héros, nos saints.

Mais aussi plus humblement les deux milliards d’êtres humains qui, depuis l’aube des temps historiques, ont vécu sur cette terre de France y ont travaillé, aimé, souffert et qui trop souvent sont morts pour elle. Je n’épuiserai pas en un laps de temps si court la description des caractères moraux du patriotisme français. J’en mentionnerai seulement une : c’est le sens de l’honneur, qui parfois nous a rendu certaines défaites plus glorieuses que nos victoires.

Depuis notre enfance, nous vibrons au souvenir de Vercingétorix vaincu jetant ses armes aux pieds de César. Nous nous sentions proches du jeune prince Philippe, trop jeune pour manier la lourde épée auprès du roi, son père, à la bataille de Poitiers, « Père gardez-vous à droite, gardez-vous à gauche » et auquel son courage vaudra le surnom « Le Hardi ». Nous pensons à François Ier écrivant à sa mère Louise de Savoie après le désastre de Pavie : « Tout est perdu Madame, sauf l’honneur ». À Bayard, blessé à mort, le dos brisé, disant au Connétable de Bourbon qu’il préfère son propre sort à celui de son vainqueur, qui a trahi le roi son suzerain.

Il ne manque hélas pas dans notre Histoire de tels épisodes malheureux autant que valeureux. La Garde qui meurt plutôt que de se rendre à Waterloo, les légionnaires à Camerone, les dernières cartouches de l’infanterie de Marine à Bazeilles, la charge de Reichshoffen, les Cadets de Saumur, le dernier et poignant échange radio du camp retranché de Diên Biên Phù avant qu’il ne succombe.

Que le souvenir de ces glorieuses défaites reste en nos mémoires, c’est bien. Encore ne faut-il pas trop en faire et j’ai été assez scandalisé qu’on ait trouvé le moyen d’envoyer notre porte-avions pour commémorer, célébrer l’anniversaire de la défaite de Trafalgar mais qu’on ait refusé d’envoyer ne serait-ce qu’une section d’infanterie, pour la commémoration de la victoire d’Austerlitz, où le rôle des Français dut être tenu par des soldats slovaques.

Alors j’aimerais bien que notre patriotisme français puisse se nourrir et se réjouir d’un peu plus de victoires, pas nécessairement dans le domaine militaire, mais aussi des victoires politiques, diplomatiques, économiques, culturelles et morales et pas seulement footballistiques.

Et puisque, en fait de victoire, vous voulez marquer celle du 11 Novembre, permettez-moi d’évoquer la mémoire de l’un de ceux qui m’ont transmis ce patriotisme. Mon grand-père maternel, Pierre Collier, chevalier de la légion d’honneur à 23 ans, issu d’une très modeste famille de Haute-Marne, ancien élève de la Communale à Langres, qui réussit à 19 ans le concours d’entrée à Polytechnique en juillet 1914, s’engage en août, fait quatre ans de guerre comme lieutenant d’artillerie. Faisant fonction de capitaine lors de la dernière offensive allemande en mai 1918, il reçoit l’ordre de se faire tuer sur place plutôt que de reculer, afin de ralentir l’avance de l’ennemi. Il commande, impassible, le tir de la batterie. La vague des assaillants n’est plus qu’à mille mètres, à cinq cent mètres, à cinquante mètres. Il s’effondre soudain frappé d’une balle qui lui est entrée dans l’œil et qui est sortie par la tempe. « Le lieutenant est tué », sont les derniers mots qu’il entend. Laissé pour mort sur le champ de bataille, il est déclaré tel par l’autorité militaire française. Seule sa mère, qui va tous les jours à l’église prier pour lui, refusera de croire à sa mort. Il ne doit la vie sauve qu’à un médecin militaire français prisonnier qui persuade les Allemands de ne pas l’enterrer.

Et comme il existait encore dans ces terribles tueries un reste d’humanité, legs des patients efforts de l’Église, il est emmené dans une ambulance, énucléé sur le champ, échangé des mois plus tard par l’intermédiaire de la Croix Rouge avec d’autres grands blessés incapables de reprendre le combat. Il rentre dans sa ville de Langres. Il entend soudain toutes les cloches sonner à toute volée. C’est l’armistice, c’est la victoire ! C’est le 11 novembre. Évoquant ce souvenir devant moi, il ne pouvait retenir ses larmes. Et moi-même aujourd’hui je ne puis le faire sans émotion.

Vive la France !

Bruno Gollnisch

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