Ces artistes étrangers qui se passent de subventions… et les autres

Drame en Inde : comme nous l’apprend Libération avec une gourmandise difficilement cachée, les responsables politiques indiens semblent faire peu de cas de l’Art, au contraire d’Emmanuel 1er, notre sémillant président, actuellement en visite d’État sur place.

Ce qui lui a donc donné une excellente raison d’aller voir, entre deux petits fours cérémonieux auprès des autorités locales, un artiste du cru qui s’est empressé de lui faire visiter son atelier. Ouf ! Heureusement qu’Emmanuel Macron s’y entend pour prêter l’oreille à ces castes artistiques méprisées par les dirigeants locaux dont certains artistes, présents au côté du président français, n’hésitent pas à dire qu’ils sont (évidemment) « très à droite » (ce qui n’a évidemment pas été oublié par Libération – gourmandise, quand tu nous tiens !).

Sans ces artistes, sans ces impromptus du président, il est évident que l’Inde sombrerait à n’en point douter dans l’inculture la plus crasse, de laquelle nul Taj-Mahal ou nul Bollywood, bref nulle culture indienne ne saurait émerger. Pour tout dire et au niveau artistique, l’Inde est apparemment une vaste terre vierge de toute subvention étatique, ce qui ne lasse pas d’affoler quelques artistes sur place et, à la suite, Libération qui se doit donc de reprendre certains propos :

« (les) subventions à l’art, il n’y en a jamais eu, quels que soient les gouvernements. C’est un concept qui n’existe pas, et c’est pourquoi le marché a fait son entrée dans le secteur… »
Mais là, patatras, c’est le drame : la conclusion tirée n’est pas exactement celle à laquelle on pourrait s’attendre dans un article de Libération bien comme il faut puisqu’on lit ensuite :

« …et que nous exposons tous dans des galeries. La libéralisation et le marché ne signifient pas seulement la liberté d’acheter et de consommer, mais aussi de parler et de penser par nous-mêmes. Nous devons conserver ces libertés. »

Oui, vous avez bien lu : des artistes, dans un pays dont on peut dire sans hésiter que ses dirigeants sont « très à droite » (peut-être pas jusqu’à fricoter avec le fascisme, mais disons turbocapitalistes, au minimum), vivent de façon plus que détendue, revendicative même, l’absence de subvention et l’intervention visible des forces du marché dans le domaine de l’art.

Si, très manifestement, le président Macron n’a pas semblé le moins du monde concerné par ces aspects, il n’en reste pas moins qu’il y a là matière à débat largement suffisante pour défriser instantanément du caniche nain syndicalisé en France : pensez donc, si l’information venait à se savoir, si, à Paris et « dans les milieux autorisés », on apprenait que tout un peuple frétille d’aise de l’absence de subventions étatiques dans le domaine artistique, on pourrait aller jusqu’à en concevoir une petite terreur des familles à l’évocation chuchotée que le marché pourrait aider l’art et qu’en conséquence, l’arrêt des subventions pourrait s’envisager sérieusement.

Et si j’évoque cette hypothèse d’horreur c’est bien parce que, au moment même où le président français faisait le kéké en Inde en découvrant des artistes non subventionnés, une sympathique bande de branleurs « militants » débarquaient au Louvre pour y mener l’une de ces inénarrables actions-choc de conscientisation du citoyen.

Ici, je renverrai au palpitant exercice journalistique des Inrocks pour retrouver les informations relatives à cet indispensable happening destiné au réveil des consciences endormies des contrib-pardon citoyens : le collectif Libérons le Louvre et l’ONG 350.org ont donc organisé lundi dernier ce qu’il convient donc d’appeler une « performance » devant le tableau de Géricault, « Le Radeau de la Méduse ».

Le mot « performance » est probablement un peu galvaudé ici tant il ne s’agissait pas ici pour les militants-artistes revendicateurs de réaliser un exploit ou une quelconque prouesse puisque nos zigotos manifestants se sont contentés de s’affaler mollement par terre, obligeant le musée à fermer son aile. Bien évidemment et moyennant un petit effort de rédaction, les spasmes artistiques prendront une autre envergure, mais le résultat est le même : une demi-douzaine de zartistes ont momentanément jonché le parquet du musée devant le « Radeau de la Méduse » parce que …

Parce que Total, pardi !

Mais oui, enfin ! Là où les artistes indiens se font stipendier sans sourciller par les industriels et autres mécènes capitalistes et peuvent alors expliquer qu’ils conservent ainsi leur liberté, en France, une brochette, pardon, une troupe, pardon un collectif vient se répandre au sol dans des déclamations grandiloquentes pour protester contre le mécénat de Total, groupe pétrolier connu pour ses nombreuses méchancetés d’autant plus méchantes qu’elles sont non seulement mégacapitalistes mais aussi pétroleuses.

Pour cette phalange d’activistes ostensiblement endeuillés de vêtements , le choix de ce tableau n’est pas aussi ridicule qu’il y paraît à l’observateur sain : en fait, ces naufragés font « penser à tous ceux qui doivent quitter leur pays pour des raisons climatiques », dont chacun sait que le nombre n’a pas arrêté d’expl… d’augm… de varier pas mal ces vingt dernières années. Pour rappel, en 2005, l’ONU avait lancé tout un joli tas d’estimations sur le nombre de ces déplacés climatiques putatifs, pour devoir, une décennie plus tard, battre en retraite devant l’inanité de ses prédictions et l’obstination d’une réalité qui refusait de corroborer ses cauchemars catastrophistes chauds et humides.

On pourrait bien sûr gloser longtemps sur ces gens qui doivent quitter leurs pays pour des raisons économiques ou plus souvent encore, politiques. Les vastes pans de populations qui quittent actuellement le Venezuela pour aller trouver à manger dans les pays voisins ne sont pas déplacés pour des raisons climatiques. Les migrants qui débarquent par milliers à nos frontières n’ont aucun lien avec le climat de leurs pays (certainement plus agréable que celui de nos contrées, balayées par la neige de ce réchauffement climatique à -10°), mais beaucoup avec leur économie désastreuse propulsée – coïncidence étonnante – par tous les beaux principes socialistes, depuis le Zimbabwe jusqu’à l’Afrique du Sud. Quant aux réfugiés syriens, le climat s’est effectivement pas mal réchauffé chez eux, mais cela tient malheureusement beaucoup plus aux explosifs militaires qu’au CO2 dégagé par leurs voitures.

Tout ceci est finalement comique, navrant et piquant.

Il est d’abord comique de voir ces zartistes auto-proclamés pleurnicher sur un mécénat qui rend des œuvres et des musées abordables là où leur happening ridicule les rend très concrètement inaccessibles à ceux venus les admirer.

Il est ensuite assez navrant de constater que ce sont des zigotos d’un pays riche qui dénoncent (pour changer) le méchant capitalisme et les méchantes opérations de Total, pendant que les artistes d’un pays en voie de développement ont, eux, très bien compris le danger de fermer l’art aux capitaux privés au point qu’ils se réjouiraient franchement d’un mécénat de Total leur permettant de s’exprimer librement – comme, du reste, le Musée du Louvre qui rappelle d’ailleurs que « le mécénat de la Fondation consiste à soutenir des projets proposés par le musée sans intervenir dans les choix artistiques », chose qu’on peut difficilement dire du Ministère de la Culture et des tombereaux de subventions accordées d’abord aux amis et connivences (dont fait très probablement partie notre brochette d’activistes tout de produits pétroliers vêtus).

Il est enfin particulièrement piquant de constater que ces activistes ont courageusement choisi de fustiger Total qui donne son argent pour que nous puissions admirer des chefs-d’œuvre plutôt qu’aller voir Bachar El-Assad, Nicolas Maduro ou Robert Mugabe pour leur reprocher leurs politiques destructrices et les nombreux morts, pas du tout hypothétiques, pas dans les générations futures mais bien actuels, dont ils sont directement responsables…

Eh oui, « l’artiste » moderne, le ventre plein et la lutte douillette, calcule ses opportunités. Décidément, Festivus n’aime pas les risques.

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