La politique des bouffons ?

En ces jours de Mai où il y a 50 ans la France vivait des événements surréalistes qui mêlait les utopies révolutionnaires de groupuscules aux revendications opportunistes des syndicats, les étudiants libérés des menaces de la guerre ou de la misère aux ouvriers désireux de partager les fruits de la croissance, il convient de faire le tri entre les lubies qui firent surface et ont marqué cette époque débordante d’idées creuses et de rêves absurdes. Le trotskysme ou le maoïsme subsistent à l’état de fossiles. Leurs champions de l’époque ont fait carrière et n’ont pas manqué de peser sur la décadence de notre pays à travers les pouvoirs politiques ou médiatiques qu’ils ont détenus. La Chine est une dictature nationaliste dirigée par un parti communiste qui s’accommode fort bien du capitalisme. L’URSS a sombré et c’est aujourd’hui une démocratie illibérale qui règne en Russie et qui a redressé le pays après ce que les Russes on vécu, pour beaucoup, comme une catastrophe. Les manifestations de l’extrême-gauche n’attirent pas les foules. Elles servent superbement, comme les violences des black-blocs, l’OPA de M. Macron sur l’électorat de droite. En fait, si une des pensées de 1968 mérite qu’on s’en souvienne, c’est celle qui était développée par Guy Debord dans la « Société du spectacle ». Le « situationnisme » selon la terminologie habituelle, tout en reprenant des concepts de Marx, l’aliénation ou le fétichisme de la marchandise, avait développé la thèse suivant laquelle la société de consommation, et non plus de production, privilégiait le spectacle comme relation entre les personnes. C’est certainement l’idée de 1968 la plus pertinente, même si la volonté de s’en libérer paraît aujourd’hui bien naïve.

Jamais le spectacle n’a triomphé à ce point. En relisant « la Civilisation du Spectacle » de Mario Vargas Llosa, ce Prix Nobel de littérature péruvien, libéral, qui cite Debord dont il ne partage évidemment pas les idées politiques, la justesse de l’analyse, son objectivité sautent aux yeux. « Dans la civilisation du spectacle, le bouffon est roi » nous dit Vargas Llosa. Et il ajoute que l’importance donnée aux vedettes du monde du spectacle n’a rien à voir avec leur lucidité ou leur intelligence, mais est « due exclusivement à leur présence médiatique et à leurs aptitudes histrioniques ». C’est tellement vrai qu’aujourd’hui, ce sont les hommes politiques eux-mêmes qui sont devenus des histrions. Les Américains et les Français sont au premières loges pour profiter des représentations. Donald Trump, qui avait animé une émission de télévision à succès, surclasse totalement Ronald Reagan qui pourtant était un « professionnel ». Chaque apparition du Président américain, chacune de ses « sorties », on n’ose dire de ses saillies, tourne au sketch, surprenant ou scandalisant le public. Son revirement spectaculaire sur la Corée du Nord est sidérant. On se dit que ce personnage est capable de tout. Les mauvaises langues diraient : de n’importe quoi ! Mais, à la longue, on peut s’interroger sur le point de savoir s’il n’y a pas la-dessous du génie : si la dénucléarisation de la Corée aboutit, au moment même où l’Iran se trouvera acculé par le retrait américain de l’accord, l’évidence se fera jour : le fantasque Donald et sa gesticulation médiatique auront été plus efficaces que la communication lissée et policée de Barack Obama, champion du politiquement correct et chouchou des médias. Le duo interprété par les deux chefs d’Etat lors de la visite de M. Macron à Washington a été un grand moment de la scène, avec force mamours et embrassades. La France possède, en effet, elle-aussi, sa star éprise des caméras et des projecteurs, avec une mise en scène apparemment différente. Là où l’Américain choque et surprend, le Français tente de réinvestir un grand rôle du répertoire si possible au milieu des décors de notre histoire. Pas de monarque sans palais ni château. Lors de sa visite aux Etats-Unis, l’excès des effusions que Trump n’affectionne guère, a plutôt tourné à l’avantage de ce dernier puisque Jupiter en a trop fait, et que le partenaire l’a pris à son propre jeu. La chaleur des échanges n’a pas empêché le Donald de déchirer l’accord avec l’Iran, soulignant ainsi la vanité du recul français vers une autre solution.

Qu’à cela ne tienne ! Blessé, mais pas mort, Macron a rebondi sur les tréteaux européens. Puisque les hasards de la programmation le font jouer sur fond de reprise économique mondiale et de délabrement politique de l’Europe, l’emploi est trouvé : Chantecler à Paris, il fait croire que le soleil de la croissance monte dans le ciel grâce à lui et médecin imaginaire d’un malade qui ne l’est pas, à Aix-la-Chapelle, sauveur de l’Europe politique, il donne la leçon à la chancelière allemande et la houspille sur le fétichisme des excédents : « les excédents, vous dis-je ! » Pas sûr que la sage Angela ait apprécié la critique du Président, ex-conseiller et ministre du précédent, d’un pays qui est le bonnet d’âne de la classe européenne, avec ses 56,5% du PIB de dépenses publiques, ses 47,6% de prélèvements obligatoires, où il bat tous les records, avec son endettement qui tangente les 100%, ses déficits budgétaires et commerciaux. « La France est en train de changer ! » La tirade avait de l’allure, mais lorsque le déficit du budget ne diminue que par l’abondance des recettes liées à l’embellie internationale et que la charge fiscale augmente en 2018 de 4,5 Milliards d’Euros, sur le premier semestre, il n’est pas sûr que les partenaires européens donnent au Français le rôle de défenseur de leurs intérêts face aux Etats-Unis. Il serait à contre-emploi. Peu importe, d’ailleurs ! Le spectacle continue et l’on continuera de jouer comme les musiciens du Titanic, pour les spectateurs qui s’intéressent toujours à la politique, et qui ne savent pas encore que le bateau coule

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