[Redite] Le pouvoir des minables

Billet initialement paru le 05.03.2018

Il y a un an, je constatais que l’Occupant intérieur, désormais en roue libre et n’ayant plus aucune contrainte de sobriété, permettait de s’exprimer à toute une panoplie de comportements pathologiques déployés par ces individus qui, récipiendaires d’une petite parcelle de pouvoir, n’hésitaient pas à en abuser.

L’année s’est écoulée et la situation s’est, bien évidemment, dégradée. Heureusement, ne vous inquiétez pas : bien que tabassés par l’État et ses administrations, vous aurez toujours la possibilité d’émettre des petits couinements qui seront religieusement stockés dans une base de donnée gouvernementale avant d’être proprement oubliés. Le gouvernement vient en effet d’annoncer la création d’un site explicitement destiné à ça : oups.gouv.fr , avec un lancement parallèle probable de bordel.gouv.fr qui ne saurait tarder…

C’est assez régulièrement que les petites avanies de la vie courante en France trouvent une place dans ces colonnes. Certains, la critique facile et l’art malaisé, me reprocheront paresseusement de trop me pencher sur des micro-faits divers… Oubliant tout aussi paresseusement que ces notules s’entassent par centaines, formant par leur accumulation une structure bien spécifique que l’analyse permet de dégager.

Pour illustrer, il suffit de s’attarder quelques minutes au-delà des gros titres baveux de la presse quotidienne. En regardant les « insolites » et autres « chiens écrasés », on découvre de belles brouettées d’articles consternants (et pas seulement au regard de leur respect approximatif de la grammaire, de l’orthographe et de la syntaxe françaises).

Il suffit par exemple d’exhiber le cas étrange de ce couple, tancé par le Juge aux affaires familiales du tribunal de Lorient pour avoir tenté d’appeler leur fille Liam. Pour le magistrat, aucun doute possible : Liam est un prénom masculin et en affubler ainsi une fille relève d’une évidente volonté de nuire à l’enfant.

Oubliant bien vite les Dominique, Ange, Camille, Lou, Sacha ou Yannick, il s’agit manifestement pour notre indispensable Juge de poser un acte fort : il a été arbitrairement décidé que Liam serait masculin, un point c’est tout.

Dans le même temps, un autre juge, d’un autre tribunal, laisse passer « Marseille » pour le prénom d’un enfant. C’est aussi ça, l’égalité devant la justice française ou cette parodie qu’on veut faire passer pour telle.

À ces prénoms dont l’avenir dépendra ultimement du bon vouloir d’un préposé aux Saintes Écritures Administratives Républicaines, on pourra ajouter le cas, ubuesque, de cette femme enceinte sévèrement verbalisée pour avoir – abomination intenable en République Festive ! – emprunté un couloir de métro dans un sens interdit.

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Oui, vous avez bien lu et l’affaire a fait les choux gras de quelques fascicules journalistiques : Le Monde, Le Parisien, BFM et d’autres n’ont pas pu résister à l’envie de revenir sur cet invraisemblable comportement d’agents RATP qui, le mardi 28 février, n’ont rien trouvé de mieux à faire pour occuper leur temps que de verbaliser cette femme enceinte qui a eu l’impudence de prendre un sens interdit lors d’une correspondance à la station Concorde pour gagner un peu de temps sur son trajet.

Au passage, on ne pourra s’empêcher de noter que l’amende de 60€ est notoirement supérieure à celle que cette femme aurait supportée si elle avait voyagé sans ticket. Pendant le même temps, les passagers de la régie de transports parisiens doivent se coltiner les accordéonistes plus ou moins déclarés, les pickpockets, les mendiants voire les groupes d’individus interlopes aux pratiques douteuses (voire carrément illégales) sans qu’on trouve, dans les parages, le moindre agent prêt à verbaliser ces activités louches. Que voulez-vous, une femme enceinte a sans doute l’énorme désavantage de ne pas pouvoir s’encourir rapidement pour échapper aux petits chefaillons de station.

Alors que le pays croule sous le chômage, que les problèmes d’incivilité s’accumulent et que le sentiment d’insécurité galope gaiment un peu partout, on pourrait s’attendre à ce que ceux qui sont chargés d’y remettre bon ordre soient directement employés au cœur des foyers les plus vifs.

Il n’en est rien. Au contraire, c’est à la frange des problèmes, en bordure des ennuis, des délits, des crimes et des exactions qu’on retrouvera toute la faune et la flore de nos agents, inspecteurs et autres forces de l’ordre exerçant leurs petits pouvoirs sur ceux qui, en pratique, posent le moins de problèmes.

C’est bien sûr le cas d’une gendarmerie lourdement équipée pour fondre sans ménagement sur le conducteur de Doblo en plein oubli de limitation de vitesse plutôt que le groupe terroriste en pleines préparations. C’est toujours le cas des agents RATP à la sortie de couloirs à sens unique. C’est enfin le cas pour l’Inspection du Travail, abonnée régulière de ces colonnes tant ses sévices sont nombreux et ses avatars médiatiques (Filoche, Hidalgo) représentatifs de ce qui se fait de mieux en matière d’intransigeance dogmatique et d’autoritarisme de kapo travesti en humanisme facile.

Dans le dernier cas en date, il s’agira de rouler les mécaniques huilées de la répression musclée pour bien faire comprendre à ces cochons de patrons ce qu’il en coûte d’oser laisser ses employés utiliser des tickets restaurants le dimanche !

Eh oui, que voulez-vous : la France est certes un pays laïc, mais faut pas pousser ! Le dimanche est sacré, notamment pour les tickets restaurant dont tout le monde sait que leur utilisation ce jour-là est évidemment signe d’une fraude patentée, d’une tentative éhontée de détournement de fonds (via les exonérations de charges sociales, pensez donc !) et de dissimulation d’avantages au regard de la Loi.

C’est sans aucun doute ce qui motivera l’Inspection du Travail, devant cette abomination, à ouvrir un épais dossier et écrire une longue lettre à ce patron qui aura laissé ses salariés dériver de la sorte dans les affres de l’illégalité la plus flagrante, notamment dans l’utilisation de ces tickets, un dimanche, dans un McDonald’s (dont on peut immédiatement soupçonner la machiavélique complicité).

On comprendra aussi que l’énergie dépensée par ce foutriquet cet inspecteur du travail n’aura jamais été mieux employée : mobilisant son temps et l’argent des contribuables pour ce genre de broutilles grotesques, il va maintenant pouvoir harceler le patron, occuper son temps pour régulariser une situation dans laquelle il n’y a aucune victime réelle. Parallèlement, ce même fumiste inspecteur ne pourra pas se consacrer à d’autres tâches plus importantes dont on se doute qu’elles ne manquent pourtant pas.

Notre société a donné un pouvoir de plus en plus grand à l’État, la collectivité, au groupe, et, par voie de conséquence, de plus en plus restreint à l’individu ; progressivement dépouillé de sa responsabilité, l’individu n’a plus de pouvoir sur sa propre vie.

Pour la plupart, cette frustration, sourde et lancinante, sera ressentie sans être jamais ni analysée ni même combattue. Pour certains, elle sera comprise et trouvera avec le libéralisme un début de réponse aux problèmes rencontrés : en redonnant aux individus la responsabilité de leurs actes et la liberté qui y est attachée, on lui redonne des marges de manœuvres, une façon concrète d’agir dans sa vie, de lui donner le sens désiré.

Pour d’autres en revanche, bien plus nombreux, l’analyse et la compréhension étant souvent hors d’atteinte ou, pire, masquées par les discours ambiants et la contrainte sociale, il s’agira de retrouver cette parcelle de pouvoir dont ils auront été spoliés au travers des domaines étroits où leur responsabilité est engagée. Typiquement, on retrouvera leur comportement inflexible et dépendant seulement de leur bon vouloir, derrière le guichet de l’une ou l’autre administration où le sort d’un autre individu sera entièrement à leur merci ; c’est ce même désir d’exercer un pouvoir, jouissif, sur la vie d’autrui, qui s’appliquera lorsqu’un agent RATP viendra sanctionner cette femme enceinte. C’est exactement le même mécanisme lorsqu’une batterie « d’inspecteurs du travail », tristes exécutants d’un code de loi poussiéreux, pourchasseront quelques individus pour des peccadilles en lieu et place de ces inspections dans les endroits où, justement, elles seraient les plus nécessaires (mais aussi, les plus dangereuses et donc les moins rémunératrices en regard du risque réellement encouru).

L’État, en dépouillant les individus de leur liberté d’agir pour eux-mêmes, a créé des armées de frustrés dont la capacité de nuisance pour autrui est alors inversement proportionnelle au risque qu’ils prennent en appliquant leur parcelle de pouvoir. Et malheureusement, ceux qui croient que c’est un effet de bord malencontreux du collectivisme se trompent : c’est un effet recherché.

Il n’y a pas de meilleur contrôle des individus que l’arbitraire appliqué par ceux qui ne savent rien faire d’autre.

 

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1 Comment

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  • 0 / 10
  • Philippe , 20 mars 2019 @ 17 h 40 min

    Minables, le mot est faible.

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