Après le Monde d’Avant, la France d’apprêt

Aucun plan ne résiste à la réalité, sauf en France où l’on a compris qu’il était bien plus aisé de plier la réalité au plan plutôt que l’inverse. Dès lors, les pires crises seront surmontées : moyennant un plan de déconfinement aux petits oignons comme en témoigne la croustillante infographie en trichromie , 35 grandes lignes et une centaine de cases cochées ou non, le pays va fièrement s’adapter aux prochaines semaines de déconfinement et se lancer à l’aventure du Monde d’Apprêt, c’est-à-dire celui dans lequel on prépare la population à se faire repeindre du sol au plafond.

Et pour que le crépi de la réalité ne frotte pas trop dur sur les petites fesses françaises, tout semble donc avoir été fait pour que le retour à la normale (ou aussi proche que possible de la normale) se fasse à un rythme aussi mesuré que possible.

Les bonnes habitudes ne se perdant pas même après deux mois de confinement, la fin de ce dernier sera donc ponctué, comme il se doit, d’inévitables mouvements sociaux dont l’orientation politique permettra de fournir d’intéressantes solutions (jamais tentées, jamais foirées) aux prochains problèmes qui ne manqueront pas de s’accumuler dans ces temps de reprise.

Parallèlement, et parce qu’on ne doit jamais changer une recette qui pulse l’efficacité et les promesses de lendemains qui chantent, pendant que certains iront manifester leur colère, d’autres se mettront en grève : dans le Puy-de-Dôme, le Cantal et la Haute-Loire, à Dijon, à Ajaccio, à Rennes, à Tarbes, à Bordeaux, en Seine-et-Marne, en Guadeloupe, les petits prurits nerveux des syndicalistes locaux se multiplient.

Et rassurez-vous : au-delà des postiers, indéboulonnables des grèves larvées, les habituels gréviculteurs français sont aussi sur la brèche. La SNCF s’est rapidement mobilisée pour proposer de se démobiliser alors même que les Franciliens reprennent tout juste le travail : il ne faudrait surtout pas que ces derniers découvrent des transports en commun fonctionnels, le choc serait trop rude après deux mois de confinement.

Notons enfin une grève d’une rare noblesse, celle touchant actuellement le distributeur Presstalis, en dépôt de bilan, et qui entraîne de grosses difficultés de parution de plusieurs journaux, à commencer par l’Humanité dont le sort semble tous les jours plus délicat. Tenez bon les gars, ne lâchez rien, l’épave communiste peut peut-être calancher définitivement et ce ne serait pas une mince victoire !

Et ce « Monde d’Apprêt » passera inévitablement par son ensemble de grosses commissions et d’importants comités dédiés à faire en sorte que les administrations, les politiciens et les associations lucratives sans but soient au taquet en matière de suivi des performances, d’accompagnement des citoyens et de cajolinâge furieux du vivrensemble républicain subventionné.

À tel point qu’on va même créer une « Académie des métiers du vélo » dotée – n’hésitons pas, c’est de l’argent gratuit des autres – de huit millions d’euros annuels pour former des réparateurs de bicyclettes. Enfin ! Enfin le pouvoir a-t-il pris la mesure de la crise qui traverse la France et qui permet au pays d’entrer d’un pied ferme dans une tiers-mondisation heureuse.

On attend avec gourmandise le Master 2 Trottinette et le Bachelor de Monocycle (avec option pour le coloré) qui ne manqueront pas de compléter les diplômes délivrés par cette Académie des métiers du vélo. Cela fera un ajout indispensable à la Licence de Clown dont sont déjà sortis nos plus prestigieux ministres.

Cependant, tout ceci n’est rien comparé aux efforts qu’on sent poindre dans la nouvelle économie et qui attirent déjà toutes les meilleures volontés de nos politiciens les plus avides arides solides : il faut admettre que cette crise a bien mis en exergue quelques problèmes de cette mondialisation à commencer par celui du tourisme qui – bizarrement – marche beaucoup moins bien quand on interdit aux gens de sortir de chez eux.

Dès lors, la solution politique – forcément politique – est déjà évoquée, sur la table des grands argentiers du pays : selon Eric Lombard, directeur général du Groupe Caisse des Dépôts, l’argent gratuit des autres peut en effet largement servir à relancer le tourisme français, notamment en lançant une version française des plateformes comme Booking ou AirBnB. Il rejoint en cela les palpitances intellectuelles d’un groupe de députés qui présentait il y a quelques jours 34 propositions de « soutien » aux entreprises françaises du tourisme.

Le raisonnement est simple : le confinement a ruiné le tourisme DONC les plateformes américaines de tourisme doivent être combattues DONC il faut mettre de l’argent public dans une plateforme française. C’est implacable.

Ainsi, en proposant de faire en France ce qui existe déjà en France et partout ailleurs, on s’assure qu’une masse considérable de pognon public sera consacrée à fournir un service qui est déjà vendu avec de l’argent privé. Et c’est ainsi qu’on va sauver le tourisme en France. Puisqu’on vous le dit.

En plus, ça tombe bien : outre l’expérience précédente du Cloud Souverain À La Française qui a amplement démontré son succès, cette nouvelle idée géniale ne vient absolument pas en collision directe avec des tentatives déjà existantes que les actuelles contraintes administratives, fiscales, légales et politiques n’encombrent absolument pas, comme le détaille du reste cette lettre ouverte de MisterB&B.

Autrement dit, une brochette de députés, poussés par une institution financière publique, va assez finement saboter le travail d’entreprises franco-françaises de tourisme dans le but affiché de fournir du travail à des entreprises franco-françaises de tourisme.

Tout ceci va forcément très bien se passer et explique sans doute l’optimisme fort mesuré de certaines agences de notations vis-à-vis des dettes d’État françaises.

Mais peu importe : la crise a fermé un chapitre, celui du monde d’avant, et en a ouvert un autre, celui de la France d’Apprêt sur laquelle on va pouvoir ripoliner de grandes idées zumanistes et solidaires, de beaux slogans creux et de grands mouvements de petits bras politiques financés pour une moitié par l’argent gratuit des autres, et pour l’autre par impression magique qui n’entraînera aucun problème à moyen ou long terme.

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