Comment le Général de Gaulle aurait géré la crise du Covid-19

Eric Branca, qui vient de publier un indispensable De Gaulle et les Grands (Perrin), répond à une question originale venue du Québec :

“Est-ce que Charles de Gaulle serait bien équipé pour affronter une crise comme celle de la Covid-19 et pourquoi?

Eric Branca – Vous savez, il est toujours imprudent de refaire l’histoire avec des « si »! Mais votre question est pleine d’intérêt parce que, dans ce cas précis, on sait très exactement ce que de Gaulle aurait fait… puisqu’il l’a fait ! De Gaulle ou plutôt la France redevenue une très grande puissance économique grâce à son action…  On l’a oublié aujourd’hui, mais le monde a connu une crise sanitaire très semblable à celle de 2020 : la grippe de Hong-Kong de 1968 qui a tué non pas 130 000 personnes dans le monde, comme le Covid-19 à la mi-avril, mais largement plus d’un million, à une époque où la planète comptait moins de 4 milliards d’hommes. La moitié moins qu’aujourd’hui… En France, cette même grippe de 1968 a tué 17 000 personnes, sur une population de 50 millions d’habitants (contre 65 millions en 2020). C’est dire si l’alerte a été sévère. Pour autant, le système de santé n’a pas été débordé, on n’a pas confiné toute une population chez elle, l’économie ne s’est pas arrêtée, bref, personne n’a pensé une seconde qu’une grippe, aussi contagieuse soit-elle, allait provoquer un collapsus économique planétaire semblable à la crise de 1929.

Pourquoi ? Parce que l’ouragan néo-libéral n’avait pas encore rendu nos sociétés si fragiles ni surtout détruit nos réflexes de survie sous prétexte de rationalité comptable. Parce que la santé publique était encore considérée comme un sanctuaire. Bref, parce que nos hôpitaux avaient les moyens de recevoir tout le monde dans de bonnes conditions, y compris les personnes âgées les plus fragiles. Pensez qu’entre 1980 et 2020 la France a perdu 40 000 lits d’hôpitaux! 1000 par an pendant 40 ans. Sous prétexte de « bonne gestion » on a généralisé les soins dits « ambulatoires », au point qu’en 2019, la doctrine officielle du ministère français de la Santé, c’était qu’un établissement de santé bien géré était un établissement avec zéro lit disponible. Zéro lit disponible, comme zéro stock disponible pour une entreprise prétendument « bien gérée » elle aussi !

Le flux tendu, en fait, c’est la pensée zéro. Le primat de l’immédiateté sur la mémoire, donc sur la projection dans l’avenir. Flux tendu et rationnement (sauf pour les stock options), voilà pourtant le maître-mot du néolibéralisme dans tous les domaines. Y compris d’ailleurs pour la Défense nationale. Est-ce utile d’épiloguer sur le résultat ? Si un ministre avait expliqué cela à de Gaulle, c’est lui que le Général aurait envoyé en confinement immédiatement… Et définitivement. Pas les Français!

Bref, pour lui comme d’ailleurs pour la plupart des dirigeants de l’époque, soyons juste, l’idée que l’hôpital ne possède pas une force de réserve pour faire face à une épidémie de grande ampleur était aussi stupide que d’envisager une économie dépendante de l’étranger pour ses stocks stratégiques, une armée dont les soldats tiennent dans le stade de France et une police qui renonce à entrer dans certains quartiers…  J’ajoute que si la situation n’était pas aussi tragique, on aurait envie de rire en entendant ceux qui ont désarmé la France nous expliquer qu’elle est en « guerre ».

De Gaulle qui, c’est le moins qu’on puisse dire, savait ce qu’était la guerre, n’employait jamais ce mot à tort et à travers. Faire avancer la cause de la paix (en s’opposant à l’hégémonie des super grands) et œuvrer à long terme pour la prospérité et la sécurité des Français dont il avait la responsabilité suffisait à son bonheur. Qui peut dire qu’il n’a pas réussi dans le temps si court qui lui fut imparti et au milieu des crises qu’il eut à affronter?

Quelle fut, selon vous, la pire crise affrontée par le général de Gaulle et comment y a-t-il répondu ?

 Celle, justement qui l’a fait émerger dans l’histoire : l’effondrement de la France et de ses élites, ou prétendues telles, en moins de six semaines, au printemps 1940. Lisez ou relisez les Mémoires de guerre, tout est dit en peu de mots sur ce traumatisme originel quand, le 16 mai 1940, alors que lui-même monte au front, il croise des soldats qui refluent en troupeau et auxquels les Allemands ont seulement confisqué leurs armes en leur criant : « Nous n’avons pas le temps de vous faire prisonniers! ». Il écrit : « Alors, au spectacle de ce peuple éperdu et de cette déroute, au récit de cette insolence méprisante de l’adversaire, je me sens soulevé d’une fureur sans bornes. Ah! c’est trop bête! La guerre commence infiniment mal. Il faut donc qu’elle continue. Il y a, pour cela, de l’espace dans le monde. Si je vis, je me battrai, où il faudra, tant qu’il faudra, jusqu’à ce que l’ennemi soit défait et lavée la tache nationale. Ce que j’ai pu faire, par la suite, c’est ce jour-là que je l’ai résolu. »

Serait-il exagéré de comparer la crise actuelle au péril nazi qui a déferlé sur la majeure partie de l’Europe pendant la Seconde Guerre mondiale ?

Non seulement exagéré, mais injurieux pour la mémoire des 50 millions de morts de ce conflit. Comparer un virus à un ennemi est un biais utilisé par les dirigeants incapables pour dissimuler leur propre impéritie. Les virus et les microbes ont toujours fait partie de la vie : ils ne sont ni mauvais ni bons, ils existent.

Ce n’est pas le Covid-19 qui a dévoré les stocks de masques dont nos hôpitaux disposaient pour protéger nos soignants ; ce n’est pas le Covid-19 qui a englouti le gel hydro-alcoolique que nous n’avions pas;  ce n’est pas le Covid-19 qui a empêché le gouvernement d’acheter, en temps voulu, les tests qui auraient permis de détecter sur une grande échelle et de soigner à temps ceux qui en sont atteints, au lieu de mettre une population entière aux arrêts de rigueur ; ce n’est pas le Covid-19 qui a rendu notre pays dépendant des molécules que nos laboratoires (quand ils existent encore) ne produisent plus et que fabriquent à leur place les Chinois ! Ce n’est pas le Covid-19 qui a convaincu nos dirigeants de fermer les dizaines et dizaines de petits hôpitaux qui pourraient aujourd’hui servir à accueillir dans de bonnes conditions les personnes âgées ou les patients non justiciables des urgences, afin que nos structures les mieux équipées se consacrent à l’essentiel !

En un mot comme en cent, ce n’est pas le Covid-19, mais le virus néo-libéral qui empêche nos dirigeants de penser… Enfin pas tous : puisqu’en Allemagne, en Suisse et en Corée du Sud, où, que je sache, l’économie de marché n’est pas sacrifiée – bien au contraire – on dispose d’assez de tests pour déterminer qui doit être « confiné » et qui peut aller travailler, avec, bien sûr, les précautions qui s’imposent. Et où, surtout, on a gardé assez de lits disponibles (9 pour 1000 habitants en Allemagne, contre 6 pour la France) pour ne pas avoir à choisir qui a le droit d’être soigné et qui ne l’a pas…”

Source (via le blog de Patrice de Plunkett).

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1 Comment

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  • Droal , 25 avril 2020 @ 11 h 59 min

    On ne peut comparer quelqu’un et personne.

    Il n’y avait rien avant Covid et il y aura la même chose après Covid, mais en plus grand.

    Après Covid, il y aura beaucoup plus rien, bien plus fort.

    En quelque sorte, une essentialisation du néant.

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