Arnaud Beltrame ou le don de soi

Arnaud Beltrame a offert sa vie pour en sauver une autre. La France en est sidérée. Le Président Macron prompt à l’emphase avait tendance à employer le mot « héros » à tort et à travers pour parler de Johnny Hallyday ou des professeurs de français. Brutalement, la France et son oligarchie se trouvent confrontées à un acte véritablement héroïque, le sacrifice, le don de soi, et de la part d’un homme engagé dans la Gendarmerie avec un sens du devoir allant jusqu’à l’abnégation. Il s’agit là d’un événement dont on ne saurait minimiser la portée. Comme l’a dit le Père Jean-Baptiste, chanoine régulier de l’Abbaye de Lagrasse, qui a donné la bénédiction apostolique avant la mort au Lieutenant-Colonel, qu’il devait marier prochainement, la « folie de ce sacrifice » dépasse les simples obligations professionnelles d’un officier de gendarmerie. Elle transcende même l’héroïsme. Le 21 Août 2015, des passagers, dont trois Américains ont au péril de leur vie empêché Ayoub El Khazzani de commettre une tuerie dans le Thalys allant d’Amsterdam à Paris. Clint Eastwood en a fait un film. S’opposer à un terroriste est un acte civique. Le faire en s’exposant à la mort, c’est de l’héroïsme qui peut déjà réveiller les consciences assoupies de ceux qui regardent ailleurs quand une agression a lieu dans un RER. Mais l’héroïsme est courageux. Il n’est pas fou. Le héros ne se livre pas à la mort sans défense, ou alors il le fait parce qu’il n’a pas le choix. Jean Moulin sous les coups ou Pierre Brossolette en se suicidant étaient prisonniers de la Gestapo et ne voulaient pas parler. Les soldats encerclés par l’ennemi et qui préfèrent la mort plutôt que de se rendre obéissent à un code de l’honneur national. Deux militaires russes viennent d’en donner l’exemple en Syrie. Ils ont préféré mourir plutôt que de se livrer aux bourreaux de l’Etat islamique. Dans tous ces comportements, la raison n’est pas absente. Le raisonnement calcule les chances pour les uns de réussir à maîtriser le danger, pour les autres d’affronter la mort volontairement plutôt que la subir de manière plus horrible, en exposant son pays à l’humiliation ou au chantage.

Le sacrifice d’Arnaud Beltrame est d’une autre nature qui stupéfie. Certes, il a sans doute espéré que son téléphone resté ouvert guiderait l’action des forces de l’ordre, mais il a exposé sa vie sans arme devant un terroriste qui pouvait trouver dans l’assassinat d’un Lieutenant-Colonel de Gendarmerie l’aboutissement le plus « heureux »de son action et la clef du paradis d’Allah. C’est en cela que réside sa « folie ». Il a estimé que la vie d’une caissière de magasin méritait de lui sacrifier celle d’un officier, deux fois major de promotion, rompu aux techniques de la sécurité publique et, de plus animé par un patriotisme et un sens du devoir, supérieurs à la moyenne. Sur un plan strictement militaire, le bilan n’est pas positif. La perte est celle d’un homme exceptionnel et l’Etat islamique peut se réjouir de ce résultat obtenu par la manipulation d’un de ces minables délinquants « radicalisés ». C’est d’ailleurs un ancien candidat de la France Insoumise qui confirme cette lecture de l’événement. Stéphane Poussier s’est réjoui en plusieurs twitts de la mort d’un officier de gendarmerie, « le pied » a-t-il osé proféré, ce qui le conduit à être poursuivi pour apologie du terrorisme. Il y a dans la volonté d’Arnaud Beltrame d’échanger sa vie contre celle d’une personne anonyme, une dimension qui peut au minimum résider dans une conception du devoir hors du commun. La protection des personnes est l’impératif le plus important des policiers ou des gendarmes. Doit-elle aller jusqu’à échanger sa vie contre celle de l’individu menacé ? Dans ce cas, il y a une disproportion qu’on ne peut comprendre qu’en impliquant une dimension religieuse. Mourir à la place de quelqu’un, ce n’est pas le devoir d’un gendarme, c’est le message le plus profond du christianisme. C’est celui du « Dialogue des Carmélites » de Bernanos et en cette semaine sainte, celui du Christ qui meurt pour racheter l’humanité. L’interchangeabilité des hommes, le plus fort à la place du plus faible, le plus riche à la place du plus pauvre est cette folie chrétienne qui inspire la sainteté plus que l’héroïsme pour reprendre ces deux modèles dont Bergson pensait qu’ils incarnaient la morale « complète ».

Saint ou héros, l’exemple est un appel. Puisse celui-ci être entendu. Il y a donc encore, dans une France dominée par le matérialisme, l’appétit de réussir, l’individualisme narcissique, des hommes qui sont patriotes au point d’exposer leur vie pour la France, des militaires pour qui le devoir est un absolu, des chrétiens capables de donner leur vie pour en sauver une autre. Le Lieutenant-Colonel Arnaud Beltrame est la preuve que ces hommes n’ont pas disparu, car il en est la synthèse. Son image devrait redresser l’espoir en notre nation, ressusciter en elle civisme et patriotisme, et rappeler que la « folie chrétienne » qui veut sauver une vie à tout prix est infiniment plus humaine que celle des lâches meurtriers qu’on nomme « fous de Dieu ». Il faut que cette leçon redonne une pleine conscience de notre identité, et du respect qu’elle mérite au point de vouloir la défendre . C’est à ce prix que le sacrifice d’Arnaud Beltrame n’aura pas été politiquement vain.

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