Le mal français face à la Chine éveillée

Alain Peyrefitte a sans doute été le penseur le plus perspicace de la Ve République. Proche de de Gaulle et de Pompidou, il avait la particularité de développer un gaullisme libéral-conservateur qui lui avait fait préférer Barre et Giscard à Chirac. L’évolution et les résultats pitoyables de ce dernier font apparaître a posteriori la clairvoyance de celui qui fut à la fois le témoin lucide et aussi l’acteur souvent courageux, et parfois controversé des quarante premières années de la République actuelle. Si on le compare aux intellectuels de gauche qui l’ont combattu, on conclut sans peine que ces esprits étriqués et faux qui bénéficient de ce qui en France semble un pléonasme, l’appellation « intellectuel de gauche », sont à cent coudées en-dessous d’un Alain Peyrefitte. On rappellera la campagne menée contre lui par Sartre, Foucault, Deleuze, etc… lorsque, Ministre de la Justice, il avait, en 1977, fait extrader en Allemagne Klaus Croissant, l’avocat de la Fraction Armée Rouge, réclamé par la justice allemande, qui, libéré avait rejoint la Stasi, la police politique de l’Allemagne de l’Est. Les aveux récents de Battisti éclairent cet épisode d’une lumière rétrospective. Terroriste et assassin en Italie, ce dernier avait bénéficié du soutien des « intellectuels de gauche » français, et notamment du grotesque BHL, et aussi du nouveau président, François Mitterrand qui lui avait accordé une immunité « idéologique ». Celle-ci lui a permis une confortable cavale de quarante ans en France, puis au Brésil. La France a énormément souffert des préjugés, des contre-sens, des inepties de ces esprits qui ont usurpé la primauté dans la pensée française.

Alain Peyrefitte a beaucoup écrit. On lui doit bien sûr le « C’était de Gaulle » qui permet l’un des meilleurs et plus justes tableaux du personnage, mais surtout ces deux ouvrages géniaux et prémonitoires qui donnent tout son sens à la visite de Xi Jinping en Europe et particulièrement en France. Le premier est » Quand la Chine s’éveillera, le monde tremblera ». Ecrit au retour d’un court séjour en Chine en 1971, publié en 1973, c’est-à-dire avant l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping, il s’appuie sur l’extraordinaire potentiel chinois et sur la concentration du pouvoir de l’Etat pour pronostiquer une montée en puissance du pays jusqu’à la première place, dès lors que le développement technologique aura pris de l’essor. Peu avant sa mort, en 1997, l’auteur concluait par un second ouvrage : « La Chine s’est éveillée ». Aujourd’hui sa prédiction s’est en grande partie réalisée. L’Empire du Milieu est en passe de reprendre sa place millénaire de première puissance mondiale, sur le plan économique, demain, et sur le plan politique et militaire, après-demain. Pour le gaulliste libéral, plus attaché à la liberté et à l’identité des peuples, qu’à l’espoir d’imposer une conception occidentale de la politique et du droit à la totalité du monde, la possibilité d’un développement économique et social dans la cadre de la dictature du parti dit communiste, n’était pas exclue. Elle est devenue une étonnante réalité.

Le second écrit incontournable de Peyrefitte est évidemment « le Mal Français ». La France y était analysée sans concession comme une société de méfiance, une société bloquée par des rapports sociaux et politiques néfastes, qui alourdissent son fonctionnement, tuent l’initiative individuelle, et l’innovation enrichissante. Peyrefitte aurait voulu une France moins centralisée, où l’Etat serait ferme, ce qu’il n’est pas toujours, mais moins envahissant, pour libérer les énergies de la société civile. Sa critique sans concession des gouvernements socialistes après 1981 voyait juste. Ceux-ci accentuaient le mal français, risquaient de le rendre incurable. Il avait prédit l’échec de la gauche dans « Quand la rose se fanera », mais avait sans doute espéré que la droite fût davantage capable de redresser la barre, comme elle l’avait fait en 1958 en restaurant rapidement les grands équilibres économiques et la compétitivité. Dans « le Mal Français », il concluait en livrant le principal message d’un livre apparemment pessimiste : « Si j’ai bien fortement marqué les dangers qui nous guettent » c’est « pour essayer d’alerter la vigilance et de déclencher les réflexes de survie. » L’image du triste trio Juncker-Macron-Merkel affichant l’unité de façade de trois pouvoirs affaiblis face au nouveau ou futur maître du monde soulignait à quel point la France n’avait cessé de reculer depuis que Peyrefitte n’est plus là pour l’ausculter.

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