Après RGPD, l’Article 13 va-t-il tuer les mèmes internet ?

Eh oui, cela fait maintenant un mois que le Règlement Général sur la Protection des Données personnelles (RGPD) est entré en application en fanfare et en Europe. À l’entrée en force de ce règlement, j’évoquais dans un petit billet les problèmes qui allaient se poser ; un mois plus tard, il est bien trop tôt pour faire un vrai bilan, mais on sent déjà poindre quelques grammes de LOL dans ce monde de mèmes.

Dans ce billet, outre l’aspect humoristique que ce règlement notamment destiné à lutter contre les pourriels en avait déclenché une vague inédite, je notais ainsi que les principaux collecteurs de données les plus confidentielles ne se sentaient toujours pas concernés par la loi : les États et leurs administrations continueront donc de nous ficher copieusement, de croiser ces données collectées par la ruse et par la force pour mieux nous surveiller, nous manipuler, nous traire et nous poursuivre le cas échéant, le tout dans l’indifférence complète de la Justice pour laquelle ce règlement est très mignon mais n’est évidemment entendu que pour les entreprises privées et puis c’est tout ou presque.

Bien sûr, ce mois écoulé n’a pas été l’occasion rêvée pour ces États d’accélérer la tendance qu’ils ont simplement continué à surfer tranquillement : ça fiche, ça récolte et ça va croiser comme jamais, ne vous inquiétez pas, tout se déroule comme prévu. La prison numérique avance tranquillou-bilou, et – youpi ! – vous en serez au centre.

Parallèlement, les entreprises ont d’ores et déjà commencé à s’adapter à la nouvelle donne… En tout cas, les plus grosses d’entre elles mettent déjà en place les moyens nécessaires pour que ce RGPD ne soit pas trop gênant, à tel point que certains s’en inquiètent : une étude menée par le Conseil norvégien des consommateurs relève que les réglages proposés par Google et Facebook semblent contrevenir au RGPD même après son entrée en vigueur le 25 mai.

On ne s’étonnera pas qu’une telle étude ait été menée dans un pays en dehors de l’Union, cette dernière ne souhaitant probablement pas constater trop tôt sa redoutable inefficacité. Il n’en reste pas moins que, comme je l’avais prévu, les sociétés américaines n’ont pas fait les efforts que certains s’attendaient à voir apparaître, pouf, le 25 mai passé. Si l’on peut toujours espérer qu’à force de ronchonner et moyennant l’une ou l’autre action en justice, ces entreprises feront effectivement un effort, un jour, peut-être, c’est en tout cas l’illustration assez frappante de la grande relativité de ces règlements imposés au monde numérique où les frontières sont encore plus floues que les géographiques.

De façon générale, légiférer sur le domaine numérique s’avère de plus en plus complexe et fait passer les législateurs – qu’on qualifiera charitablement de « numériquement challengé » – pour d’encombrantes andouilles tant leurs agitations législatives se traduisent souvent par des lois coûteuses, inapplicables et aux effets de bords désastreux.

C’est ainsi qu’en parallèle de ce RGPD dont on continuera sagement d’observer les répercussions, les mêmes législateurs européens, encore chauds de leur précédente production, se sont lancés dans une refonte des lois encadrant le droit de copie en Europe.

Oui, vous avez bien lu : avec toutes ces conneries belles législations, une nouvelle brouettée de régulations puis de complexifications puis d’interdictions puis de sanctions vont apparaître qui vont mener, gentiment mais sûrement (avec la même gentillesse et la même certitude que le flicage global des États) à la potentielle disparition de toute une culture internet, à savoir celle des mèmes.

Le problème a été soulevé il y a quelques jours par différentes figures proéminentes d’Internet (de Tim Berners-Lee à Vinton Cerf en passant par Jimmy Wales ou Mitch Kapor) qui se sont inquiétées, dans une lettre ouverte disponible en ligne, de ce que ces nouvelles productions bureaucratiques risquaient d’avoir des effets de bords … gênants :

 By requiring Internet platforms to perform automatic filtering all of the content that their users upload, Article 13 takes an unprecedented step towards the transformation of the Internet from an open platform for sharing and innovation, into a tool for the automated surveillance and control of its users.
En demandant aux plateformes internet de réaliser un filtrage automatique de tout les contenus que leurs utilisateurs téléversent, l’Article 13 fait un pas sans précédent vers la transformation de l’Internet d’une plate-forme ouverte de partage et d’innovation en un outil de surveillance et de contrôle automatisé de ses utilisateurs.

En effet, si l’intention de départ des parlementaires européens était de lutter contre les méchantes plateformes de partage de fichiers (musique, cinéma, vidéos, j’en passe), la rédaction des articles a vite tourné à la fête à la saucisse où chacun s’est semble-t-il employé avec ardeur à élargir le rayon d’action de la régulation proposée.

Bilan : n’importe quelle image, n’importe quel texte un tant soit peu détourné tombe sous le coup d’une loi qui aboutirait, dans sa lecture stricte, à sanctionner à peu près tout ce qui fait la culture internet, mèmes en premiers, en reportant la responsabilité de la publication de ces images sur la plateforme elle-même et non sur l’utilisateur qui l’a chargée.

Pire encore : pour que cette loi soit efficace, il sera demandé que les plateformes mettent en place les moyens nécessaires pour filtrer préventivement l’apparition de ces contenus. Autrement dit, ces plateformes devront installer des technologies de reconnaissance et de filtrage de ces matériels afin d’en effacer tout ce qui viole le droit d’auteur, laissant à des algorithmes la tâche d’apprécier la nature des violations de droit.

Au vu de la qualité globale de ces algorithmes (encore très approximatifs actuellement) et du coût de ces technologies en général (filtrer en amont revient très, très cher), toute l’industrie numérique européenne risque de souffrir subitement à l’application d’une telle loi.

En somme, depuis ce RGPD jusqu’à cette Directive sur le Copyright en passant par, en France, les derniers bricolages législatifs fumeux contre les « fake news », nous assistons à la mise en coupe réglée de l’internet européen par une bureaucratisation à outrance et un véritable bombardement législatif pas du tout chirurgical.

Dans le même temps, la concurrence directe (que ce soit aux États-Unis ou l’Asie en général) a bien compris l’importance de laisser de bonnes marges de manoeuvres à l’économie numérique tant celle-ci pilotera massivement tout le reste dans les prochaines années.

De lois en régulations, de directives en règlements, on peut d’ores et déjà s’attendre à une perte de vitesse de tout un continent résolument tourné vers la censure, la surveillance tous azimuts et l’étouffement de l’innovation par l’encadrement permanent.

Forcément, ça va bien se passer.

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