Bonne fête de la Pentecôte !

En ce jour de Pentecôte qui donne toute sa place pour les Chrétiens à la troisième personne de la Trinité, l’Esprit Saint venu éclairer les Apôtres, qu’il soit permis de souligner la spécificité de la religion du Christ. Certes, avec la Trinité, et la foule des Saints du catholicisme, le christianisme est un monothéisme original. Mais c’est une autre dimension que l’on aurait tort d’oublier : il n’a jamais demandé qu’on le répande par les armes, mais au contraire par la parole, dans toutes les langues de l’Humanité. Cette importance de l’esprit éclairé, non pas soumis à un texte qui emprisonne la pensée, mais inspiré par une parole, un souffle divin, celui de la Pentecôte, précisément, sera consolidée par le duo inséparable tant de fois rappelé par Benoît XVI de la Foi et de la Raison. La Pentecôte, cinquante jours après la résurrection du Christ, mort dans la souffrance, est la célébration de la conversion des esprits en vue de propager une religion d’espérance, de paix et d’amour. Que les faits et les comportements n’aient pas toujours été à la hauteur de cette promesse n’enlève rien à son originalité. Toutes les religions ne se ressemblent pas, ne se valent pas, malgré ce qu’en dit notre époque ignorante. »La religion vise toujours à apaiser la violence » écrit René Girard au début de « la Violence et le Sacré ». La confuse pensée commune de notre temps a quelque mal à accepter cette formule. Les horreurs commises par les barbares de l’Etat islamique comme la cruauté des attentats ont amené certains à rappeler les guerres de religion, les croisades ou encore les exécutions des hérétiques ou des sorcières. Toutes les religions se valent en mal comme en bien, se dit-on, et, repoussant l’amalgame, il faut parler de l’islam, « religion de paix et d’amour ».

La lecture de René Girard nous apprend au contraire à distinguer la religion chrétienne. La violence n’est pas étrangère à l’humanité. Comme le disait Bachelard, « l’homme est une création du désir, non pas du besoin ». L’homme désire, et désire sans fin ce que l’autre désire. C’est cette concurrence qui éveille la violence mimétique. L’homme veut ce que l’autre désire et peut-être possède. D’une certaine manière, cette psychologie est présente chez les terroristes. Certes, ils se réclament de l’islam, mais ce sont pour beaucoup des délinquants de la société de consommation qui sont passés par les cases de la drogue, du vol et de la prison. Convertis, ils ont vécu une vie au-dessus de leurs moyens, une vie fantasmée qui ne pouvait facilement retomber dans la banalité d’une existence tranquille de petit travailleur ou dans la grisaille de la prison au long cours. Ils ont voulu ce que l’autre croit posséder et ils ont détruit l’autre en prétendant haïr ce qu’il possède.

Pour René Girard, c’est par le sacrifice du Bouc Emissaire que les religions contiennent cette tendance pathologique de l’humanité. Comme il le dit dans « Quand ces choses commenceront », « les religions païennes étaient quand même un premier chemin vers Dieu.. La pratique des sacrifices était bien une façon de contenir la violence à un niveau, non pas voulu, mais toléré par Dieu ». Pour sauvegarder la paix, il faut désigner un coupable, mobiliser toute la violence contre lui, et l’effacer pendant un temps en sacrifiant le porteur du péché. C’est là une donnée sociologique qui dépasse même les religions puisqu’on la retrouve dans la propagande totalitaire. La vengeance collective veut mettre un terme à la chaîne interminable des vengeances individuelles. Cette pensée est évidemment au coeur du christianisme.  Pâques est le jour de la résurrection de la victime sacrificielle, mais celle-ci était innocente, et elle inversait même le sens du sacrifice puisqu’elle faisait de Dieu le sacrifié et non pas le destinataire du sacrifice. Autrement dit, le christianisme exprime une volonté de ne pas se laisser contaminer, de transcender la violence. Le passage des Evangiles au cours duquel le Christ dissuade de jeter la première pierre d’une lapidation est évidemment le contrepoint de sa propre crucifixion. Mais nous avertit René Girard, échapper à la violence n’est pas sortir du mimétisme. C’est la « première pierre qui compte ». Celui qui la jette sera imité, mais le premier qui ne la jette pas sera lui aussi suivi. Alors, ce sera à nouveau de l’imitation. Peut-être nos sociétés chrétiennes par habitude en sont-elles là, incapables de jeter la première pierre, mais impuissantes à évacuer la violence.

Le christianisme est une religion de la personne. Elle peut inspirer les sociétés mais n’a pas à leur imposer un royaume qui n’est pas de ce monde. Elle demande un effort de liberté à chacun notamment pour s’arracher au mimétisme de la violence. A Ratisbonne, Benoît XVI citant un empereur byzantin qui dénonçait la volonté de l’islam de propager la foi par l’épée, avait, avec beaucoup de retenue, évoqué cette différence fondamentale entre les deux religions dans leurs textes et dans leur esprit (discours de Ratisbonne). Mais le mimétisme des médias l’avait condamné. Pour la plupart des musulmans, leur religion est encore sacrificielle, et en cela, elle participe à la paix sociale, mais en autorisant la guerre sainte elle développe une originalité symétrique du christianisme dont les musulmans doivent évidemment se délivrer. Comme le disent certains musulmans, le djihad (définition) ne doit pas se faire contre les infidèles, mais contre le mal qui est en soi. Puissent-ils être entendus !

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