Barack Obama : Sénateur pacifiste et Président en guerre

Par John Yoo*. Publié dans le Wall Street Journal et traduit de l’Anglais par Le Bulletin d’Amérique.

Le Bulletin d’Amérique est une interrogation sur la réalité politique des Etats-Unis. Les auteurs et les traductions diffèrent ainsi par leurs penchants. En conséquence, l’ensemble des articles ne craint pas de refléter certaines contradictions.

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Comme tous ses prédécesseurs, Barack Obama a compris pourquoi la Constitution avait accordé à l’exécutif certains pouvoirs. Celui-ci est le seul à pouvoir agir avec diligence.

Le président Barack Obama a de nouveau fait volte-face sur la sécurité nationale. Nous pouvons tous lui en être reconnaissants. Ayant maintenu Guantanamo ouvert, relancé les commissions militaires contre les terroristes et élargi l’utilisation de drones, le Président a maintenant ordonné à l’armée américaine d’agir en Libye, sans la bénédiction du Congrès.

Imaginez le tollé qui aurait été soulevé si le Président Bush avait unilatéralement lancé les attaques aériennes contre la Libye de Mouammar Kadhafi. Cependant, puisque c’est le doigt de Monsieur Obama qui est sur la détente, les dirigeants démocrates au Congrès se sont tus, démontrant que leur opposition au pouvoir présidentiel pendant les années Bush fut politique, avant d’être de principe.

L’exercice par Barack Obama des pouvoirs de guerre en Libye se situe dans la tradition de la politique étrangère américaine. Tout au long de notre histoire, ni les Présidents ni le Congrès n’ont agi en vertu de la conviction que la Constitution exigeait une déclaration de guerre en amont de la conduite d’hostilités militaires à l’étranger. Nous avons utilisé la force à l’étranger plus de cent fois. Nous n’avons toutefois déclaré la guerre que dans cinq cas: la guerre de 1812, les guerres américano-mexicaine et américano-espagnole, et les deux guerres mondiales.

Sans l’approbation du Congrès, les Présidents ont envoyé des forces pour combattre les Indiens, les Pirates barbaresques et les révolutionnaires russes, pour lutter contre la Corée du Nord et les communistes chinois en Corée, afin d’œuvrer à des changements de régime dans le Sud et en Amérique centrale et pour prévenir les catastrophes humanitaires dans les Balkans. D’autres conflits, comme la guerre du Golfe en 1991 et la guerre en Irak en 2003, ont reçu des « autorisations » législatives sans déclaration de guerre. 

Cependant, depuis le Vietnam, des démocrates anti-guerre ont cherché à remplacer la dépendance de la Constitution à l’action présidentielle en temps de guerre par un système radicalement différent, approprié en temps de paix: le Congrès mène la politique, le Président la met en œuvre. En 1973, ils ont adopté la résolution War Powers afin d’exiger l’autorisation du Congrès avant toute intervention militaire à l’étranger. Aucun Président n’a accepté la constitutionnalité de la loi.

La campagne contre le terrorisme du Président George W. Bush a fait monter les enjeux dans cette querelle. L’ouverture du centre de détention de Guantanamo Bay, la mise en place de tribunaux militaires spéciaux pour les procès intentés aux terroristes, l’ordre d’interroger de façon musclée les dirigeants d’Al-Qaïda et l’écoute sans mandat des communications électroniques, le tout sans l’approbation du Congrès, a nourri la vision de la gauche d’une « présidence impériale ». Harry Reid, leader de la majorité au Sénat, et d’autres Démocrates en vue, ont régulièrement accusé George W. Bush d’agir « au-dessus de la loi » et de « briser les prérogatives du Congrès ». Joe Biden, alors Sénateur, s’est même opposé à la nomination à la Cour suprême de Samuel Alito, parce que celui-ci n’accepterait pas l’idée que Monsieur Bush doive obtenir l’autorisation du Congrès pour attaquer l’Iran.

M. Obama avait été d’accord avec ses collègues démocrates, affirmant en 2007 que « Le Président ne dispose pas, en vertu de la Constitution, du pouvoir d’autoriser unilatéralement une attaque militaire quand la situation n’entraîne pas l’arrêt d’une menace réelle ou imminente à la Nation ». Quatre ans plus tard, Barack Obama a informé le Congrès qu’il avait ordonné une action militaire en Libye, « en vertu de mon autorité constitutionnelle à mener la politique étrangère américaine et en tant que commandant en chef et chef de l’exécutif ».

Pour une fois, M. Obama a compris la Constitution. Comme Alexander Hamilton l’écrivait dans le Fédéraliste 74, « la direction de la guerre implique la direction de la force commune et le pouvoir de diriger et d’employer la force commune fait partie, habituellement et pour l’essentiel, de la définition de l’autorité exécutive ». Les Présidents doivent conduire la guerre, écrit-il, parce qu’ils pourraient agir avec « décision, énergie, secret, et diligence ». Dans ce qui est peut-être sa formule la plus célèbre, Hamilton a écrit que « l’énergie de l’exécutif est un caractère premier de la définition d’un bon gouvernement (…) elle est essentielle à la protection de la communauté contre les attaques étrangères ».

La vérité est que l’autorité constitutionnelle de George W. Bush dépasse de loin celle de Barack Obama. En 2001 et 2002, Bush a gagné l’approbation du pouvoir législatif pour les deux guerres en Afghanistan et en Irak, bien qu’il n’en ait pas eu besoin.

Quelques suspects habituels se sont prononcés contre le volte-face de Barack Obama. Le représentant Dennis Kucinich (Démocrate-Ohio) a de nouveau évoqué la procédure de l’empeachment et son compère isolationniste Ron Paul (Républicain-Texas) a laissé entendre que Monsieur Obama agissait « en dehors de la Constitution ». Quelques modérés, comme les Sénateurs Richard Lugar (Républicain-Indiana) et Jim Webb (Démocrate-Virginie), ont appelé à un débat sur une déclaration de guerre au Congrès, une idée soutenue par le pontife conservateur George Will [NdT : prix Pullitzer 1977]. Mais ne vous attendez pas à voir le sénateur Reid (Démocrate-Nevada) ou l’ancien Président de la chambre Nancy Pelosi (Démocrate-Californie) introduire une législation afin de bloquer la guerre en Libye. Ne vous attendez pas à voir le Vice-Président Joe Biden fulminer afin de sauver la Constitution des mains du Président. Ils sont tout aussi silencieux aujourd’hui qu’ils le furent lorsque le président Bill Clinton avait ordonné le bombardement de la Serbie en 1999 sans l’approbation du Congrès.

La véritable opposition vient d’ailleurs : des jeunes républicains au Congrès, comme Jason Chaffetz de l’Utah ou Justin Amash du Michigan. Leur opposition louable à la croissance des pouvoirs fédéraux sur le territoire les pousse à résister, à tort, au rôle indispensable de Washington à l’étranger. Ils perçoivent le texte constitutionnel du XIXème siècle à travers une lecture moderne. Par exemple, ils comprennent que « déclarer la guerre » signifie « déclencher la guerre ». Lorsque la Constitution a été écrite, une déclaration de guerre était un avis diplomatique notifiant un changement dans les relations juridiques entre les nations. Elle avait peu à voir avec le déclenchement des hostilités. Dans le siècle ayant précédé la Constitution, la Grande-Bretagne a par exemple combattu de nombreux conflits majeurs, mais n’a déclaré la guerre qu’une seule fois.

Notre Constitution prévoit des procédures spécifiques pour l’adoption de lois, la nomination d’agents et la ratification de traités. Il n’en existe pas pour la guerre. La Constitution déclare que les États ne peuvent pas « s’engager » dans un conflit « sans le consentement du Congrès » à moins qu’ils soient « effectivement envahis ou en danger trop imminent pour permettre le moindre délai » – ce qui constitue exactement les limites souhaitées par les critiques anti-guerre, avec une exception pour l’auto-défense. Mais même ces limites sont absentes quand il s’agit d’une guerre menée par le Président. Les Pères fondateurs voulaient que le Congrès et le Président se battent autour de la question par le processus politique, non par les tribunaux.

Le Congrès est trop fractionné, lent et rigide pour gérer un conflit. Sa structure lâche et décentralisée pourrait paralyser la politique américaine alors que les menaces étrangères profileraient dangereusement à l’horizon. Les Fondateurs comprirent que le véritable pouvoir du Congrès résiderait dans le portefeuille. Lors de la convention de ratification de Virginie en 1788, Patrick Henry attaqua la Constitution, qui ne parvenait pas selon lui à limiter le militarisme présidentiel. James Madison lui a alors répondu: « L’épée est dans les mains du roi d’Angleterre, la bourse est dans les mains du Parlement. Il en est de même en Amérique, si nous pouvons nous permettre cette analogie… »

Si le Congrès s’oppose à l’action, il peut réduire le financement de l’armée, et ainsi supprimer des unités, ou geler l’apport de fournitures aux troupes. Le Congrès mit fin de cette manière à l’intervention américaine au Vietnam, en coupant le budget destiné à la guerre. Notre Constitution a été une réussite parce qu’elle permet une action présidentielle rapide en temps de guerre, ensuite contrebalancée par le pouvoir de financement du Congrès.

Malheureusement, le désir de Monsieur Obama de travailler avec les Nations Unies n’a fait que substituer une source de retard et d’irresponsabilité à une autre. Alors qu’il perdait des semaines à négocier avec la Ligue arabe, les alliés de l’OTAN et, enfin, le Conseil de sécurité, afin d’obtenir l’approbation internationale qu’il cherchait désespérément, Mouammar Kadhafi est parvenu à renverser ses pertes sur le champ de bataille et a repoussé les rebelles vers l’un de ses derniers bastions, à Benghazi. La Constitution a centralisé la gestion de la guerre au Président précisément pour éviter les retards et les erreurs des prises de décision collégiales. Tandis que Monsieur Obama a bien fait d’écarter les Démocrates pacifistes, il a montré qu’il avait encore à apprendre sur les méthodes du pouvoir exécutif.

John Yoo est Professeur de droit à l’Université de Californie, Berkeley, et analyste à l’American Enterprise Institute. Il a servi au Département de la Justice de 2001 à 2003.

Cette page est produite par l’Institut Coppet et le Bulletin d’Amérique.

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